Literatura


Théâtre français contmporain


LE THÉÂTRE FRANÇAIS CONTEMPORAIN

        • Le théâtre parisien

Le nouveau théâtre

Aussitôt après la guerre, l'angoisse devint un thème à la mode dans les cercles littéraires. Mais si cette mode fit des ravages dans les clubs et les cafés de Paris, elle ne s'imposa guère ailleurs; et dans les centres culturels de province, la tendance était plutôt à l'optimisme. Le Nouveau Théâtre commença et acheva son existence à Paris. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'eut aucun effet en province. C'est bien avant 1950 que l'on remarque cette différence entre le développement théâtral à Paris et en province. Pendant l'Occupation, Vilar s'adonna à deux espèces différentes d'activité théâtrale. En province, il joua Molière, Musset et Singe. À Paris, d'autre part, il passa un certain temps à monter des pièces moins connues dans des théâtres d'essai (oeuvres jugées trop difficiles pour la province). Vilar monta deux pièces de Strindberg: La danse de Mort et Orage. Barrault mit en scène l'adaptation du Procès de Kafka par Gide. Ces mises en scène contribuèrent à ouvrir la voie au Nouveau Théâtre.

Vilar et Barrault n'étaient pas les seuls à faire du théâtre expérimental. Roger Blin et Jean-Marie Serreau cherchaient aussi à faire du nouveau. Blin voyait la nécessité de rompre totalement avec la tradition. Ce désir d'innover était partagé par le grand aîné du théâtre français de l'époque: Louis Jouvet. À son retour d'Amérique du Sud, il se sentait plutôt hors-jeu. Il commanda une pièce à Jean Genet, cette pièce, Les Bonnes, contient déjà plusieurs caractéristiques du Nouveau Théâtre. Les Bonnes initia les spectateurs parisiens à une nouvelle façon de présenter les thèmes de l'incertitude et du désespoir par l'intermédiaire d'une parodie; ces éléments allaient contribuer à la formation du Nouveau Théâtre.

La naissance du Nouveau Théâtre se trouva grandement favorisée par l'existence de quelques petits théâtres « d'art et d'essai » au Quartier Latin. Dans la plupart des cas, l'équipement de ces salles convenait aux pièces du Nouveau Théâtre, qui n'exigeaient ni décors, ni costumes compliqués et ne comportaient souvent qu'une distribution fort réduite. Mais les pièces de Ionesco tirent un bénéfice très sensible de mises en scène plus élaborées. Il en alla de même pour les pièces d'Adamov et celles de Beckett. Mais les qualités essentielles de ces pièces survécurent à des mises en scène très rudimentaires. C'est essentiellement grâce à ces petits théâtres que put se développer l'intérêt du public pour le Nouveau Théâtre; le succès fut long à venir. Les spectateurs étaient peu nombreux, et la presse en grande partie hostile. Quelques critiques influents se montrèrent élogieux. En attendant Godot fut la première pièce de ce genre à connaître une longue carrière. Ce n'est qu'au milieu des années 50 que l'on reprit avec succès les premières oeuvres de Ionesco. Adamov qui, à la même époque, avait commencé à se faire le champion du théâtre politique, ne connut jamais la satisfaction d'être joué longtemps à Paris.

La brusque émergence du Nouveau Théâtre au début des années 50 passa inaperçue comme Beckett, Ionesco et Adamov. L'œuvre littéraire d'Adamov ne comprenait que des traductions, une autobiographie, de la poésie et des études littéraires. Sa première pièce originale, La Parodie, s'inspire de Strindberg et plus particulièrement du Songe. Sans se connaître, Beckett et Adamov se mirent en même temps à écrire pour le théâtre: En attendant Godot est de la même époque que les premières pièces d'Adamov. Beckett avait déjà écrit cinq romans.

Ionesco était celui qui ressemblait le plus à l'image que l'on pouvait se faire du jeune auteur dramatique du nouveau style. La force de Ionesco dramaturge provient au départ d'une méprise: pensant que La Cantatrice chauve était une tragédie, il découvrit à sa grande surprise qu'elle produisait sur scène le même effet qu'une farce. Après être tombé par hasard sur la formule « farce tragique », il se mit à l'exploiter en l'appliquant à un large éventail de situations.

Il faut tenter maintenant de montrer ce que les différents créateurs de ce théâtre avaient en commun et donc de les étudier en tant que participant à un même mouvement. Car, bien qu'ils aient atteint une certaine notoriété au même moment, ces différents auteurs ne se connaissaient pas au début; on ne peut donc pas dire qu'ils aient formé une école. Ce qui est surprenant, c'est que tant de critiques aient cherché à les réunir sous une même étiquette: théâtre de l'absurde, théâtre de la dérision... Ces termes sont inadéquats dans la mesure où ils mettent l'accent sur la forme et le contenu. Une étude des pièces montre qu'elles ne présentent pas toujours les mêmes thèmes et que leur style est bien différent. Ce qu'elles ont en commun, c'est une remise en question de toutes leur certitudes. Elles diffèrent des pièces du répertoire traditionnel. Une distinction du même ordre sépare le roman traditionnel du nouveau roman, et c'est pourquoi l'expression nouveau théâtre semble être la plus satisfaisante.

Plus encore que chez les nouveaux romanciers, les frontières entre les diverses formes d'expression allaient être abolies par les dramaturges du Nouveau Théâtre. Le théâtre de l'entre-deux-guerres avait déjà vu naître une tendance à l'auto-critique, particulièrement dans les oeuvres de Pirandello où les concepts traditionnels d'intrigue et de personnage se trouvent contestés. Six personnages en quête d'auteur illustre bien cette contestation. Cette pièce montre six personnages de fiction qui envahissent l'existence d'acteurs et d'actrices véritables. Comme l'auteur les a laissés inachevés, ils ne peuvent pas trouver dans leur vie cette consistance d'ensemble que l'on s'attend à rencontrer chez les personnages du théâtre traditionnel. Cette idée fut reprise et affinée par les auteurs du Nouveau Théâtre, dont presque tous les personnages éprouvent la même incapacité à donner un sens à leur être ou à leur situation. Si cette tendance ne s'étendit pas davantage, c'est que dans le domaine de la forme, l'on restait attaché à la tradition.

Pour les auteurs du Nouveau Théâtre, le processus dramatique lui-même était devenu le sujet de leurs pièces. Fatigués du théâtre poétique et du théâtre de fantaisie, ils avaient décidé de prendre l'absence d'intrigue et de caractérisation pour un sujet principal dans leurs pièces. Ils atteignirent ainsi une sorte de « degré zéro » du théâtre. Le degré zéro permet aux idées et aux événements d'apparaître seuls, sans adjonction de sens ou de commentaires. Si nous appliquons cette théorie au théâtre, le degré zéro consiste à présenter des personnages qui tout simplement son là. Tous les personnages de Beckett ont en commun d'attendre quelque chose et de vivre misérablement; le « degré zéro » de la condition humaine et de la communication, en quelque sorte, montrant ainsi le pessimisme radical de l'auteur, et son obsession de la régression: personnages enterrés, réduits à l'état de larve, immobiles, décors vides, absence obsédante.

Chez Beckett, forme et contenu sont impitoyablement élagués jusqu'à ne plus laisser subsister ce que Geneviève Serreau a appelé « le jeu pur ». Selon celle-ci, de nombreux personnages de Beckett sont très proches des clowns (il n'existe ni thème, ni intrigue pour les constituer en tant que personnages). Dans En attendant Godot ce qui empêche la pièce de n'être que le pastiche d'un numéro de clowns ou de music-hall, c'est qu'elle contient les éléments d'une philosophie et d'une prise de conscience critique.

Ce que l'on remarque surtout dans le Nouveau Théâtre et dans Godot en particulier, c'est que ces pièces provoquent une réflexion sur la nature même du théâtre. C'était une remise en question du théâtre par le théâtre lui-même. Les auteurs du Nouveau Théâtre osèrent rejeter les anciennes structures sécurisantes (intrigue, personnages) et plonger leur public dans une incertitude qui, autrefois, était le lot des personnages seulement.

Dans un premier temps, les gens comprirent mal l'originalité de ces oeuvres car ils ne pouvaient réagir qu'à leur manque de sens apparent. Pour essayer de leur faire saisir le but poursuivi, Adamov inventa le terme « littéralité ». Pour Adamov ce terme voulait dire que ces pièces n'avaient aucune fonction symbolique. Elles n'essayaient pas de montrer autre chose au-delà d'elles-mêmes: elles étaient cette autre chose. D'après lui, une pièce n'était rien d'autre qu'un événement en train de se dérouler.

On a souvent prétendu qu'Artaud a très fortement influencé le Nouveau Théâtre. Cela est difficile à justifier. Adamov est en fait le seul auteur à avoir vraiment bien connu Artaud. Ni Beckett, ni Ionesco, ni Genet ne l'avaient rencontré avant de commencer à écrire pour le théâtre.

Lorsque le genre nouveau de la « farce tragique » eut réussi à attirer des spectateurs, les gens commencèrent à remarquer qu'une violence et une littéralité nouvelles étaient entrées au théâtre. On découvrit que c'était ce théâtre-là qu'Artaud avait voulu.

Il existe un autre point de convergence entre les idées d'Artaud et le Nouveau Théâtre: le théâtre se doit d'exploiter l'immense variété de ses moyens d'expression au lieu de s'appuyer presque uniquement sur la parole. En proposant des personnages qui ne faisaient plus avancer l'action, mais étaient plutôt des victimes passives, ces auteurs se trouvèrent dans l'obligation de faire un usage intensif des lumières, des objets, des décors, pour donner forme à leurs conceptions. Le dialogue au lieu d'être le porteur privilégié d'une information pouvait incarner littéralement l'insignifiance, ou l'illogisme absurde; il pouvait aussi rejeter toute rhétorique. Plus important encore: c'est aux actions que fut confié en grande partie le soin d'atteindre le public. Les spectateurs se rendirent donc compte qu'ils ne devaient plus concentrer leur attention principalement sur le dialogue.

Comme Artaud, ils veulent finir avec les chefs-d'œuvre et trouver un style qui stupéfie les spectateurs. Quelques constantes sont rapidement perceptibles:

  • L'abandon de tout didactisme. Le Nouveau Théâtre refuse les thèses et les propagandes. Sans idéologie, il vise à un « anti-théâtre », sans message, sans motivation psychologique.

  • Stylisation et symboles. Une pièce n'a de sens que jouée. Le spectacle obéit à une dynamique interne qui déshumanise les personnages. Le sens est évacué au profit d'une situation exagérée et symbolique.

- Une forte dénonciation. Même si ce théâtre refuse les idées, ce vide est un message. Il met à nu l'angoisse humaine, l'absurdité de notre condition

Toutes les pièces du Nouveau Théâtre se caractérisent par une agression du public. Une des nouvelles tendances du vingtième siècle est le « parler vrai »: on peut donc exposer au grand jour les hypocrisies, et les jeter au visage de la société qui en est responsable. On trouve, dans le Nouveau Théâtre, de nombreuses modalités d'agression du public: attaques contre les normes morales et linguistiques des spectateurs, contre les valeurs établies, l'esprit logique, le sens du réel. On peut aller parfois jusqu l'agression physique ou du moins jusqu'aux menaces.

Une procédé plus fréquent encore consiste à utiliser des termes inappropriés. Le langage en porte-à-faux heurte notre sentiment du bien et du mal, tout en provoquant notre rire. Ce genre de provocation c'est l'humour noir. Celui-ci est souvent utilisé pour agresser le public en le faisant rire de choses qu'il trouverait normalement tragiques ou horribles. On considère souvent que l'humour noir est une façon de faire face à l'horreur que la vie peut nous inspirer, et finalement de la dominer.

De nombreuses pièces du Nouveau Théâtre baignent dans une atmosphère hallucinatoire: c'est là également une façon d'agresser le public en lui faisant perdre la notion du réel et de l'illusoire.

Toutes ces méthodes nous montrent donc que le Nouveau Théâtre cherchait à choquer et à agresser le public. Les attaques du Nouveau Théâtre avaient pour but une libération: et ce qui devait être libéré en premier lieu, c'était le théâtre; il fallait le débarrasser des conventions éculées de l'héritage culturel européen sur lesquelles il s'appuyait. Ainsi qu'il arrive souvent lorsqu'on rejette toutes les conventions, les auteurs dramatiques se rendirent compte qu'en agissant ainsi ils avaient créé une nouvelle convention.

  • Le théâtre décentralisé

Les années 50

Dans Le Théâtre Populaire, publié en 1941, Coupeau avait prédit que la France se préparait à donner naissance à une nouvelle forme d'activité théâtrale. Pour Coupeau, l'éloignement de Paris était la première condition d'un renouveau théâtral. A l'époque où Coupeau écrivait, il n'existait pas en dehors de Paris de compagnies théâtrales professionnelles

Les jeunes compagnies regroupaient de jeunes acteurs et metteurs en scène qui avaient eu Coupeau pour maître, ou avaient participé au travail de la Compagnie des Quinze. Des gens comme Dasté, Clavé, Jaquemont, Serreau saisirent l'occasion que leur donnait Jeune France de partir sur les routes. Ces jeunes étaient décidés à prendre en mains leur avenir, au lieu de compter sur un gouvernement central lointain et peu sûr.

Ainsi, á la Libération, certains organismes souhaitaient mettre en place des compagnies théâtrales régionales. C'est à la suite d'une requête spécifique des représentants de Colmar, Mulhouse, et Strasbourg que fut fondée la première compagnie permanente régionale. Ces villes tenaient à renouer leurs liens culturels avec la France. Cette proposition fut chaleureusement accueillie par le Ministère des Beaux-Arts qui encourageait les tentatives de décentralisation. Alors qu'à la libération, la province ne disposait que de 51 théâtres (contre 52 pour Paris), à partir de 1946, sous l'initiative de Jeanne Laurent, sous-directrice des spectacles au ministère, la décentralisation théâtrale se met en place avec pour double ambition d'implanter géographiquement des institutions dramatiques et culturelles en région et en banlieue et de rechercher sur le plan social de nouveaux publics populaires. Cette politique aboutira à la création de Centres dramatiques nationaux subventionnés par le ministère des Affaires culturelles et les collectivités locales. Paradoxalement, le succès de la décentralisation dépendait d'un appui substantiel émanant d'une bureaucratie centralisée. Jeanne Laurent organisa aussi un concours des Jeunes Compagnies doté d'un premier prix de cent mille francs et « l'aide à la première pièce ».

Le Centre Dramatique de l'Est fut créé à Colmar en 1946, sous la direction de Louis Ducreux. Celui-ci avait été le seul à fonder avec succès un théâtre en province. Mais Ducreux, malade, dut renoncer à prendre ses fonctions. Il fut remplacé par Roland Piétri qui adapta certaines de ses propres mises en scènes parisiennes pour la compagnie de Colmar. En proposant L'Arlésienne de Daudet dès son arrivée à Colmar, Clavé révélait son intention de constituer un répertoire de style provincial. Michel Saint-Denis lui succéda en 1952. Saint-Denis fonda à son tour une école; et c'est sous sa direction que la compagnie et l'école se transportèrent à Strasbourg.

De 1947 à 1970, Jean Dasté demeura à la tête de La Comédie de Saint Etienne. Il était aussi influencé par Coupeau. Ce n'était pas à Saint Etienne qu'il avait d'abord essayé, après la guerre, de fonder une compagnie, mais à Grenoble. Dans la Résistance des gens avaient créé la Maison de la Culture de Grenoble pour acquérir la vie culturelle dont l'Occupation les avait privés. Une de leurs idées était de placer Dasté à la tête d'une compagnie qui jouerait au théâtre municipal.

Pour sa première saison il monta Noé d'André Obey et la donna en tournée dans la région. Les tournées de Dasté ont eu un grand succès. Pour cette raison Jeanne Laurent offrit à cette compagnie le statut du Centre Dramatique National. Mais le maire et la municipalité de Grenoble refusèrent leur collaboration; c'est ainsi qu'en 1947, la compagnie accepta de devenir La Comédie de Saint Etienne et le deuxième Centre Dramatique National.

Desté se trouva bien à l'aise dans cette agglomération industrielle car il voulait ouvrir le théâtre à la classe ouvrière. Il maintint le principe d'un théâtre itinérant. Son but profond était de redécouvrir un théâtre authentiquement populaire. L'insistance de Dasté à diffuser son travail dans toute la région servit de modèle aux trois autres Centres Dramatiques qui allaient être fondés: le Centre Dramatique de l'Ouest, le Grenier de Toulouse et la Comédie de Provence.

La troupe des Jeunes Comédiens de Rennes, fondée en 1940, devint le Centre Dramatique de l'Ouest. Cette troupe se produisit à Rennes pendant les années 40, et chaque année se rendait à Paris pour participer au Concours des Jeunes Compagnies. En 1948, elle obtint le premier prix et ils devinrent professionnels. Ils demandèrent à Hubert Gignoux de les diriger. Le répertoire de leur première saison rappelait celui de Dasté: Molière et des classiques du théâtre contemporain.

C'est aussi un groupe d'étudiants, dirigé par Maurice Sarrazin, que l'on retrouve en 1945 à l'origine du Grenier de Toulouse. Cette troupe monta également à Paris pour prendre part au Concours des Jeunes Compagnies; elle obtint le premier prix en 1946. Leur répertoire était alors comparable à celui des compagnies déjà mentionnées. Lorsqu'ils reçurent le statut de Centre Dramatique en 1949 leur situation matérielle s'améliora, et ils purent entreprendre un programme de tournées plus ambitieux.

C'est la Comédie de Provence qui fut créée la dernière en 1952. Cette compagnie dut son existence au seul Gaston Baty, qui après une très brillante carrière parisienne, eut envie d'aller explorer la province. Il mourut en octobre 52. La compagnie continua à sillonner la région sous la conduite de différents chefs de troupe, jusqu'au moment où elle se transporta à Marseille en 1968. Baty avait rencontré une hostilité semblable à celle que Dasté avait connue à Grenoble.

En 1955, les trois quarts des départements français recevaient la visite de ces cinq compagnies. Les seules régions laissées dans l'ombre étaient le Nord et une partie du Centre. On y remédia en fondant le Théâtre Populaire des Flandres en 1953, et le Théâtre de Bourgogne en 1955.

Les directeurs des théâtres privés parisiens étant hostiles à la politique de Jeanne Laurent. A l'enthousiasme de l'après libération avait succédé la guerre froide. Jeanne Laurent dut quitter son poste. Main d'œuvre et transport devinrent plus coûteux, le nombre des troupes augmenta, et les tournées des grandes compagnies nationales se firent donc plus rares.

Jean Vilar et le Théâtre National Populaire

Avant de quitter ses fonctions, Jeanne Laurent prit une dernière mesure de grande importance: elle plaça Jean Vilar à la direction du Théâtre National Populaire. Jean Vilar voulait un théâtre conforme aux réflexions et aux idées affirmées avant la guerre. L'ouverture du théâtre à un public neuf et la mise en valeur des grands textes du répertoire correspondent à sa conception du théâtre comme service public et comme moyen pédagogique pour éduquer le peuple. Il était aussi partisan d'organiser chaque année des festivals de théâtre qui proposeraient un programme très copieux. Il avait fondé en 1947 le festival d'Avignon qui avait connu un succès immédiat pour deux raisons: la célébrité des acteurs et l'été (les théâtres parisiens étaient fermés).

Toutes les représentations étaient données sur un vaste plateau. Il n'y avait pas de décors.  « Cet espace vide, occupé par quelques rarissimes accessoires vit par la lumière, le costume, l'acteur » Le rythme était rapide, les costumes éclatants, les effets de lumière fortement contrastés. Ces décors simples et stylisés invitent le spectateur à construire avec son imagination l'espace scénique. Ce style avait été imposé à Vilar par les nécessités de la représentation en plein air; mais ce fut finalement la clé des succès obtenus par le T.N.P dans l'immense théâtre du Palais de Chaillot, qui lui servait de point d'attache. En 1951, Jean Vilar prend la direction du premier T.N.P. installé au Palais de Chaillot. Sur un tel plateau, c'étaient les mouvements et les rapports entre les personnages qui étaient mis, avant tout, en relief. La couleur qui manquait aux décors éclatait dans les costumes souvent très recherchés. Les accessoires étaient réduits au minimum, mais prenaient par là-même, lorsqu'ils étaient utilisés, une importance considérable. Ce qui comptait avant tout, c'était de faire appel à l'imagination des spectateurs. Vilar regrettait de ne pouvoir monter des pièces plus intimistes du répertoire contemporain dans cet énorme espace de Chaillot. Il se réjouissait de voir que ce bâtiment servait les objectifs du théâtre populaire.

Il avait été entendu que le T.N.P, sous la direction de Vilar, s'inspirerait des Centres Dramatiques et irait porter le théâtre dans les banlieues parisiennes privées de culture. Vilar décida donc d'organiser une série de “week-ends du T.N.P”. Ils se déroulaient dans la salle municipale de l'une ou l'autre des « banlieues rouges » et proposaient un programme complet de divertissements. Les syndicats assuraient publicité et soutien, et ces week-ends connurent le succès; toutefois leur fréquence diminua sensiblement au cours des années 50. Vilar jugea qu'on obtiendrait de meilleurs résultats en faisant venir des groupes d'ouvriers aux représentations régulières de théâtre. Il fit connaître à son public non seulement Shakespeare et les classiques français, mais aussi les oeuvres de romantiques allemands et, pour la première fois en France depuis la guerre, offrit au public une grande mise en scène d'une pièce de Brecht. L'ambition de Vilar était de stimuler la conscience critique de ses spectateurs. Dans ce but, il privilégia les pièces historiques qui proposaient des débats sur les responsabilités politiques et morales de l'homme dans des contextes sociaux donnés.

En raison de contraintes financières Vilar ne put créer que fort peu de pièces nouvelles. Le recrutement des spectateurs fut l'une de ses premières réussites; il s'arrangea avec les syndicats et les usines pour qu'un grand nombre d'ouvriers puisse se rendre régulièrement à Chaillot. Vilar comprit que, pour ces nouveaux spectateurs, il fallait changer les coutumes du théâtre. Il maintint les places à un prix modéré. Au lieu de vendre des programmes chers, emplis presque uniquement de réclames, il proposait, à bon marché, les textes de répertoire.

Les directeurs et les metteurs en scène croyaient que si l'on envisageait le rôle du théâtre dans la société de façon plus dynamique et pertinente, on toucherait un public nouveau et plus différencié, et l'on en arriverait à un total renouvellement du théâtre en France. Pour faire connaître ces aspirations, une revue théâtrale fut fondée en 1953 sous le titre de Théâtre Populaire. Elle publiait des textes de pièces, et des articles écrits par des professionnels du théâtre et par des critiques. Elle accordait la première place aux activités du T.N.P, mais elle mentionnait aussi celles des cinq centres de province et les divers festivals de théâtre qui se créaient çà et là.

Il en avait résulté ce mouvement du théâtre populaire regroupant tous ceux qui croyaient que le théâtre pouvait parler aux masses des villes. A cette époque-là, les cinq premiers centres et le T.N.P avaient tous fait la preuve de leur talent: leur travail était de haute qualité, leur public considérable. Mais leur répertoire ne comprenait guère que des oeuvres du passé, et il était urgent que viennent s'y ajouter des pièces modernes. C'est grâces aux représentations de Mère Courage que le mouvement du théâtre populaire entrevit pour la première fois ce répertoire moderne qu'il cherchait.

Brecht en France

La France ne découvre que tardivement le dramaturge allemand Bertolt Brecht, d'abord en 1950 avec L'Exception et la Règle, mise en scène de Jean-Marie Serrau et surtout en 1954 lorsque Brecht et le Berliner Ensemble présentent à Paris Mère Courage et peu après Le Cercle de craie caucasien. Si une partie de la critique journalistique reste hermétique aux lois du théâtre épique, en revanche, pour des intellectuels comme Roland Barthes et Bernard Dort, la mise en scène brechtienne constitue une véritable révélation.

La revue Théâtre Populaire publia un numéro presque entièrement consacré à Brecht qui comprenait la première publication en français de son Petit Organon pour le Théâtre. Jusqu'à sa disparition, le Théâtre Populaire allait se consacrer à l'élaboration d'une théorie marxiste de la pratique théâtrale, suivant le modèle proposé par Brecht. La revue allait aussi essayer de susciter en France le développement d'une pratique théâtrale identique. Le démarrage fut laborieux, mais une fois établie, l'influence de Brecht devint considérable. « Dès le premier numéro, l'objectif est clair : il s'agit de rendre au théâtre populaire sa place prépondérante dans la vie publique »

Brecht était presque inconnue en France avant 1954. Seul Mère Courage avait été montée par Vilar en 1951; « La mise en scène de Vilar ne correspondait pas aux théories brechtiennes sur le théâtre ». Contrairement à la mise en scène de Mère Courage de Vilar en 1951, qui incitait le spectateur à s'identifier au destin tragique de l'héroïne, la mise en scène du Berliner Ensemble en 1954 avec ses rideaux et pancartes, ses éléments mobiles, ses costumes volontairement pauvres et ses songes interrompant l'action, interdit au public d'éprouver de la compassion pour cette mère coupable.

On ne fut pas long à se rendre compte qu'il ne serait pas facile d'adapter le style brechtien à la scène française. Si l'on voulait parvenir à une saisie authentique des pièces de Brecht, il fallait adopter la pratique théâtrale du Berliner Ensemble. L'œuvre de Brecht posait dès le départ des problèmes de sémiologie; car à côté de l'écriture du texte même, il y avait l'écriture pour la scène. Brecht était très sensible à la communication verbale et sémiologique, à la fonction du geste autant qu'à celle du langage. Selon Dort, le théâtre de Brecht était tout le contraire du théâtre pauvre; la mise en scène était fort coûteuse. Des théâtres comme le T.N.P, ou la Comédie de Saint-Étienne n'avaient pas assez d'argent pour rivaliser avec le Berliner Ensemble. Il faut donc donner beaucoup de poids, dans la représentation aux actions des personnages en fonction de l'évolution des circonstances, pour que soient bien saisies les contradictions des personnages.

Ces difficultés, auxquelles s'ajoutait l'absence de traductions, firent que les pièces de Brecht n'arrivèrent que lentement sur les scènes françaises. La mise en scène qui eut le plus d'impact en cours des années 50 fut celle de Dasté Le Cercle de craie Caucasien. D'autres pièces de Brecht furent montées au cours des années 50.

Mais avec la décennie suivante, un véritable raz-de-marée brechtien submergea les théâtres décentralisés. L'Arche fit paraître rapidement en traduction les pièces de Brecht. Si on voit les pièces jouées entre 1947 et 1972 dans les théâtres décentralisés, on voit que Brecht occupe la troisième place, après Molière et Shakespeare.

Tant d'efforts portés sur un seul auteur a influencé en profondeur les recherches du théâtre décentralisé: jeu des acteurs, mise en scène, décors, mais aussi écriture dramatique. Si Brecht eut tant d'impact, c'est surtout qu'en décrivant sa technique théâtrale, on retrouva toute une tradition remontant à l'époque élisabéthaine. Vilar s'était déjà tourné vers des oeuvres de ce genre, dans un esprit plus romantique; il avait donc crée un climat favorable au théâtre épique de Brecht.

Pour Brecht le théâtre épique était à l'opposé du théâtre aristotélicien (au contraire que pour le public français). Les caractéristiques essentielles du théâtre épique ont leur racine dans la relation qui s'établit entre un acteur et son auditoire. Le travail de celui qui joue un rôle épique est de montrer au spectateur le pourquoi et le comment de telle ou telle action et, ce faisant, il respecte la liberté de jugement de chacun. Les diverses techniques utilisées par le théâtre épique sont conçues pour faciliter la relation entre la scène et la salle.


Plusieurs conditions sont requises par Brecht pour parvenir à inventer ce théâtre épique. D'abord l'écriture dramatique doit privilégier le fragmentaire par rapport au continu. A la succession linéaire et contraignante des scènes qui fait sentir le poids de la fatalité sur l'homme, est préféré une organisation en tableaux qui morcelle l'action et permet au spectateur d'envisager un autre déroulement. D'autre part, le texte épique s'intéresse non à la psychologie, mais au comportement des hommes. Alors que le moteur de la forme dramatique est le conflit, le théâtre épique privilégie l'idée de contradiction


Théâtre dramatique : la scène incarne l'action, communique au public des sentiments, noie le spectateur dans un drame concernant des personnages immuables, dans des pièces construites libéralement, où chaque scène concourt à un ensemble.

Théâtre épique : la scène raconte l'action, s'interdit de communiquer émotions et sentiments, veut faire réfléchir le spectateur sur un homme changeant, en situation évolutive, dans des pièces où les scènes, discontinues, valents pour elles mêmes.


Brecht concevait une présentation des circonstances presque sans rapport avec ce qui se pratiquait sur la scène française dans les années 50. L'intrigue tout d'abord, n'était ni originale ni sensationnelle. Dans ses pièces on trouve des contes populaires ou des personnages historiques. On ne racontait pas l'histoire pour mettre en valeur le dilemme psychologique du personnage principal.

Les personnages de Brecht ne sont pas tragiques; ils provoquent la sympathie, l'intérêt et même la surprise. Avec ce type d'histoire et de personnage, les pièces épiques tendent à représenter des circonstances familières. Pour ce faire, Brecht emploie toute une série d'effets d'aliénation; le procédé le plus important est celui de l'interruption.

Dans le théâtre épique, c'est sur le geste autant que sur la parole, sur la contradiction autant que sur le déroulement linéaire que l'on compte pour révéler adroitement les circonstances réelles. Paroles et actions ensemble pouvaient être utilisées gestuellement, si bien que l'importance accordée au geste ne révélait pas nécessairement un mépris du texte. Mais cette insistance sur le geste implique que l'acteur extériorise tous les sentiments, et les mots cessent d'être le bien privilégié des vrais sentiments d'un personnage. Dans le théâtre épique c'est le déroulement plus que le dénouement qui compte.

L'influence du théâtre épique de Brecht finit par se faire sentir non seulement dans le jeu des acteurs et dans la mise en scène, mais aussi dans l'écriture dramaturgique. C'est presque exclusivement dans les théâtres décentralisés et populaires que l'on trouve cette influence; le but fondamental de Brecht était d'établir une relation privilégiée avec un public populaire. Il essayait de capter le rythme du parler populaire, la gestuelle qui l'accompagne, et les absences de transition à l'intérieur du discours.

Pour éviter que l'œuvre de Brecht ne soit montée par des metteurs en scène incompétents ils exercèrent un contrôle très strict. Robert Voisin avait acquis des droits sur les représentations en français de Brecht et il fallait une véritable pression du public pour convaincre Voisin d'autoriser les représentations.

La découverte de Brecht fut une sorte de libération. Chez Brecht, ils découvraient non seulement un auteur populaire contemporain, qui parlait d'une voix rugueuse et moderne de sujets d'un intérêt immédiat, mais aussi une tradition différente qui remontait à Shakespeare, et dont les principes de construction semblaient bien plus modernes que ceux des classiques français. Ils découvraient un théâtre libéré des règles de l'unité, et où les représentants de toutes les classes sociales remplaçaient la caste aristocratique traditionnelle. On s'apercevait que l'on pouvait aussi mettre en scène le répertoire classique en s'inspirant des méthodes du théâtre épique. L'influence de Brecht demeura fort discrète jusqu'à la fin des années 50.

La mise en scène réalisée par Jean Vilar pour La résistible ascension d'Arturo Ui montrait à quel point ses conceptions avaient évolué depuis sa Mère Courage. Avec Ui, Vilar faisait une déclaration politique sans ambiguïté. Toutefois, si le message était clair, le style de la mise en scène ne fit pas grande chose pour l'actualiser. Selon la tradition du T.N.P, les décors étaient réduits à l'essentiel, et c'est à l'éclairage qu'on avait recours pour créer l'atmosphère. De ce fait, le message prenait un sens général et même universel.

En 1963, Vilar se démit de ses fonctions de Directeur du T.N.P. Il souhaitait consacrer tout son temps au festival d'Avignon. Au cours des dernières années qu'il passa au T.N.P., Vilar semble avoir compensé son incapacité à montrer des pièces modernes en choisissant un répertoire susceptible de proposer un commentaire sur les événements politiques contemporaines. La mise en scène la plus visiblement politique de Vilar, en cette période, fut peut-être celle de La paix d'Aristophane, condamnation sans équivoque de la tendance à déifier les grands chefs en temps de crise nationale.

Vilar avait ce don extraordinaire de susciter un désir pour le théâtre là où il n'existait pas auparavant. Non seulement il fonda le premier et le plus célèbre des festivals d'été, mais il étendit son action aux baliseuses ouvrières de Paris. Il lança aussi une association de spectateurs, publia régulièrement à leur intention un bulletin intitulé Bref et supervisa des publications annexes.

La force de Vilar résidait dans sa vision utopique d'un théâtre pour tous. Au cours de la décennie qui suivit la guerre, il contribua puissamment à revitaliser le théâtre, surtout dans la région parisienne. Il devint le porte-drapeau de la première génération de ceux qui luttaient, après la guerre, pour le théâtre du peuple.

Seules les mises en scène de Planchon sont parvenues à faire fructifier l'héritage du dramaturge allemand. Après 1968, ce sont les spectacles du Théâtre du Soleil qui ont su réinventer Brecht en alliant plaisir d'un divertissement ludique et réflexion critique sur l'Histoire de la société.

Planchon et Adamov

L'intérêt de Planchon était fondé sur l'association de deux qualités caractéristiques apparemment contradictoires. D'une part, le souci du détail matériel, concret, et l'affirmation souvent répété que «la vérité est concrète». D'autre part, l'anti-naturalisme très prononcé de Brecht, et son opposition à un théâtre de l'illusion. Planchon s'est battu pour créer un théâtre qui respecte la dimension humaine de l'expérience vécue, mais cherche aussi à surprendre son public en refusant les images familières et en faisant apparaître à la représentation des signes et des sens nouveaux.

Roger Planchon

Parmi les représentants du nouveau théâtre social et historique, c'est Planchon qui a le mieux réussi et exercé le plus d'influence. Il s'identifie bien davantage à une tradition plus ancienne, qui remonte, via Brecht et Büchner, aux élisabéthains: celle d'un théâtre qui combine le style épique simple à tout un champ de références à la fois personnelles, sociales et historiques. Une autre influence marque profondément ce théâtre: celle d'Artaud. Brecht et Artaud ne partageaient en commun qu'un seul intérêt: le théâtre de l'Extrême-Orient.

Planchon fut attiré par Artaud longtemps avant de découvrir Brecht. Et c'est dans les personnages torturés des propres pièces de Planchon que l'influence d'Artaud apparaît le plus clairement. Sa carrière théâtrale commença en 1950 lorsqu'il monta un spectacle burlesque intitulé Bottines, collets montés. C'était un collage de scènes tirées de Courteline et de Labiche, qui permettait de passer en revue toute une variété de traditions comiques. La pièce rapporta à la troupe un prix de vingt-cinq mille francs lors d'un concours de théâtre amateur. Cet argent permit au groupe de devenir une compagnie semi professionnelle

En 1952, Planchon et sa compagnie se transportèrent dans une imprimerie désaffectée au centre de Lyon, où ils construisirent une petite salle de cent dix places. Ils y restèrent jusqu'en 1957, date à laquelle ils s'installèrent dans le grand théâtre municipal de Villeurbanne. Dès 1952, ils décidèrent de se considérer comme une troupe professionnelle, et de jouer tous les soirs, et devinrent ainsi la seule compagnie théâtrale autonome et permanente de province, (si l'on exclut les 5 Centres Dramatiques nouvellement créés).

Leur répertoire à cette époque comprenait des oeuvres de l'époque élisabéthaine et deux pièces de Calderón; mais ils ne se limitèrent pas aux pièces classiques ou burlesques. Ils montèrent aussi un nombre impressionnant de pièces contemporaines. La rencontre de Planchon et d'Adamov eut une portée considérable, car Planchon découvrit que son aîné partageait son admiration pour Artaud, et voyait du même oeil que lui les traditions du théâtre élisabéthain. Adamov fut impressionné par la qualité du travail de La troupe; il écrivit pour elle en 1954 des adaptations de la Cruche cassée de Kleist et de l'Edouard II de Marlowe.

Planchon rencontra Brecht qui venait de terminer une adaptation du Dom Juan de Molière, et les deux hommes parlèrent de la place des auteurs classiques dans le théâtre d'aujourd'hui, surtout de Molière, de Shakespeare et de Lenz. Après cette rencontre, le travail de Planchon devint, pendant plusieurs années, une sorte de dialogue avec Brecht l'auteur, Brecht le théoricien et surtout, Brecht le metteur en scène. La seule chose raisonnable pour Planchon était de refaire son apprentissage: d'imiter le maître en tout, afin de pouvoir le dépasser plus tard. En conséquence, il monta une seconde fois La Bonne Ame de Sé-Tchouan en 1958, et déclara que son travail était une modeste imitation. Mais l'influence de Brecht se fit surtout sentir dans sa façon de monter des pièces classiques, telles que George Dandin et Henri /V de Shakespeare, et dans son approche d'une écriture nouvelle comme celle d'Adamov dans Paolo Paoli.

La domination de Brecht sur Planchon n'a pas été aussi écrasante qu'on l'a parfois cru. En 1956, Planchon mit en scène Aujourd'hui ou les Coréens, la première oeuvre d'un jeune auteur, Michel Vinaver. Cette pièce n'a rien d'une parabole brechtienne. Elle montre une authentique rencontre de gens bien réels, qu'aucune propagande militariste ne peut expliquer. Pour la première fois, on parla du travail de Planchon dans la presse nationale et sa renommée s'étendit. Dans son autobiographie, Adamov déclare que c'est après avoir vu Les Coréens qu'il décida de confier Paolo Paoli à Planchon. Leurs années de collaboration (1953-1960) coïncident avec le moment où tous deux subissaient fortement l'influence de Brecht, et il est évident que la façon dont chacun réagissait à Brecht dépendait aussi de la réaction de l'autre. Planchon découvrait, grâce à Adamov, l'importance à accorder aux réalités oniriques, à côté des réalités politiques. Adamov apprenait de Planchon l'importance de l'écriture scénique qui vient compléter l'écriture dramatique.

Paolo Paoli, la première pièce française authentiquement brechtienne, fut le résultat de cette évolution parallèle. Paolo Paoli traite de plumes, de papillons et de boutons. Sous l'apparente frivolité (l'insignifiance d'un tel commerce), Adamov révélait l'importance économique étonnante qu'avait prise, à la Belle Epoque, la confection des objets en plumes. A partir d'images familières de luxe et de frivolité, la pièce d'Adamov traite des circuits commerciaux en système capitaliste. Adamov met à nu les conflits propres à une société capitaliste, où les gens ne vivent plus que pour des objets, où se confondent valeurs morales et valeurs marchandes. C'est de son humour que la pièce tire sa force. Dans Paolo Paoli, il ridiculisait le circuit des trocs sordides dans les commerces de la plume et du papillon.

Afin de mieux mettre en valeur les rapprochements et les contradictions entre le petit monde de Paolo et les réalités de l'histoire européenne, Adamov, à la manière de Brecht, se servait de projections entre scènes. Ces projections servaient à rappeler aux spectateurs les événements saillants de l'année qui servait de cadre à la scène suivante. L'alternance entre allusions historiques et scènes de la vie privée suggérait que cette société était conditionnée par les événements extérieurs. Ces projections avaient aussi pour effet d'interrompre le déroulement de l'action. Cependant, la structure essentielle de cette pièce n'est pas vraiment brechtienne. Malgré sa structure épique, la pièce est surtout fataliste, dans la mesure où elle présente une société corrompue et non un programme d'action optimiste.

Paolo Paoli marqua un tournant décisif dans la carrière des deux hommes. Cette pièce libéra Adamov, en lui montrant qu'il était capable de parler du monde réel, qu'il n'était pas obligé de rester prisonnier de ses névroses. A Planchon, elle donna l'occasion de faire jouer sa compagnie à Paris pour la première fois, et contribua à persuader le maire de Villeurbanne d'accepter l'installation d'une compagnie permanente au théâtre municipal de ce faubourg industriel de Lyon. La première pièce donnée par la compagnie le 31 octobre 1957 fut Henri IV de Shakespeare.

En Octobre 1958, Planchon monta sa première pièce de Molière, George Dandin. Ce que Planchon appréciait de Molière était le fait que ses pièces étaient davantage des études de situations que des études psychologiques. Sa méthode fut plus influencée par la pensée de Brecht. Brecht voulait absolument qu'on ait une vision du monde bien définie: il avait aussi montré que le travail du metteur en scène avait une responsabilité égale à celui de l'auteur. Mais 1961 vit la dernière mise en scène d'une pièce de Brecht par Planchon: Schweyk dans la deuxième guerre mondiale. Aux yeux des critiques brechtiens, Planchon s'était rendu coupable de monter une pièce dans un style qui était plus le sien que celui de Brecht. Au cours de cette période, l'influence de Brecht fut surtout visible dans les reprises et les adaptation réalisées par Planchon.

Entre 1958 et 1961, la compagnie monta cinq fois à Paris, et la critique en vint à la considérer comme la meilleure des jeunes troupes françaises. Mais, en même temps, une bataille plus importante se jouait à Villeurbanne, où la compagnie devait réussir à se faire accepter. Le Théâtre de la Cité gagna la confiance du maire de Villeurbanne. André Malraux promit que le théâtre recevrait le statut de Centre Dramatique National.

Au cours des années 60, Planchon se consacra principalement à l'écriture de ses propres pièces et à la création artistique. En 1961, Planchon écrivit sa première pièce, La Remise; plus de douze outres allaient suivre. Dix ont été jouées à Villeurbanne, mais quatre seulement ont été publiées: La Remise, L'infâme, Le cochon noir et Gilles de Rais. Celles-ci ont été souvent considérées comme un cycle de pièces paysannes, dans lesquelles Planchon a utilisé la connaissance directe qu'il avait du milieu rural. Ces quatre pièces ont pour origine un évènement historique authentique, d'un caractère particulièrement violent. Elles montrent comment ces évènements furent vécus dans les imaginations et dans les esprits. Ces pièces sont toutes plus ou moins construites sur le modèle d'une enquête; on ne voit pas les moments de violence, mais on cherche à éclaircir une situation, à trouver une explication adéquate. On aurait put penser que ces textes, écrits par un metteur en scène chevronné, comporteraient de nombreuses indications scéniques. Il n'en est rien; ces textes sont brefs et condensés, répartis dans une douzaine de scènes environ, et ne contiennent pour ainsi dire aucune directive quant au jeu des acteurs et à la mise en scène. L'on peut dire que ces pièces essaient de créer une forme dramatique moderne, tout en gardant certaines caractéristiques du théâtre Shakespearien. Ceci apparaît dans leur structure faite d'épisodes discontinus, dans les ruptures de la psychologie des personnages. Ce qu'il y a d'original dans la manière dont Planchon envisage la psychologie, c'est qu'il traite sur le même plan les cadres de référence psychologiques et sociaux.

La structure de ces pièces est une structure épique, au sens brechtien du terme, c'est-à-dire que chaque scène est autonome. L'intérêt que l'on éprouve devant une mise en scène de Planchon est dû pour une bonne part à l'extraordinaire richesse des décors. La portée et l'étendue de ces tableaux varient considérablement de scène en scène, créant sans cesse la surprise. Il veut surprendre le public en lui donnant de lui-même une image inattendue. A long terme, il espère atteindre ainsi un but politique. Mais cette esthétique n'a pas une efficacité politique immédiate. Dans les pièces de on peut trouver deux sortes de sujets: la vie en milieu rural, et la vie dans un monde déchristianisé.

C'est Planchon le faiseur d'images qui semble impressionner le plus, et il s'établit donc une continuité naturelle entre ses pièces des années 60 et 70 et ses mises en scène, lesquelles reflètent les mêmes intérêts politiques et sociaux. Planchon attende de ses acteurs qu'ils prennent des risques et fassent preuve d'agilité physique. Il méprise les conventions qui décident de ce qu'un acteur peut ou ne peut pas faire.

Sa compagnie joua des pièces de Gatti et d'Arden, ainsi que les reprises de Goldoni, d'O'Casey et de Vitrac. Jacques Rosner, l'assistant de Planchon en fit la mise en scène. Planchon, lui, consacrait de plus en plus de temps à l'écriture, et aussi à la mise en scène de ses œuvres tragiques et historiques et burlesques ou satiriques.

A cette époque, la politique d'André Malraux, qui était de regrouper au sein de ses Maisons de la Culture tous les événements culturels de province, s'était peu à peu mise en place; mais Planchon resta sourd aux suggestions qui lui étaient faites de diriger une de ces Maisons, de peur de voir diminuer sa liberté artistique. En 1968, il vit qu'il avait eu raison, lorsque de nombreux directeurs furent brutalement renvoyés pour avoir permis à des étudiants et à des ouvriers de tenir dans leurs Maisons des débats ou des meetings politiques. En 1969 la municipalité de Villeurbanne accepta de faire entièrement reconstruire et rééquiper le Théâtre de la Cité. La rénovation commença pendant l'été 1969. Avant cela, Planchon monta L'infâme, et la Contestation et la mise en pièces de la plus illustre des tragédies françaises « le cid » de Pierre Corneille, suivie d'une « cruelle » mise à mort de l'auteur dramatique et d'une distribution gracieuses de diverses conserves culturelles, (rappel ironique du titre complet du Marat/Sade de Peter Weiss). La mise en pièces était une réaction, mi-sérieuse, mi-ironique, au bouillonnement culturel qui avait accompagné les occupations d'usines et les manifestations de mécontentement en mai 1968.

La pièce de Planchon montrait trois membres de ce « non public » nouvellement identifié, partant à la recherche d'un théâtre authentiquement populaire. Avec sa « mise en pièces » ou «déconstruction » du Cid, Planchon essayait de montrer que derrière l'agitation et les slogans de 1968, s'ouvrait un abîme vertigineux de théories contradictoires, qui mettaient en doute la capacité même de l'art de parler de la réalité.

Pendant ce temps-là, à Paris, le T.N.P. avait été ballotté de crise en crise, et le Ministère cherchait désespérément à le remettre à flot. Une solution s'offrit: en confier la direction à Planchon. Celui-ci refusa de quitter Villeurbanne, mais suggéra que Robert Gilbert, son directeur administratif, et lui-même, pourraient s'adjoindre un autre directeur artistique, Patrice Chéreau. Cette équipe formerait le nouveau T.N.P. qui, basé à Villeurbanne, ferait davantage les tournées ; et lorsque le théâtre rouvrit, une fois rénové, il prit le nom de T.N.P. Au cours des années 70 Chéreau monta une série de pièces tant classiques que modernes. Planchon recommença à mettre en scène des auteurs contemporains autres que lui-même.

C'est en 1971, lorsque Jacques Rosner s'en alla prendre la direction du Centre Dramatique du Nord à Tourcoing, que Planchon invita Chéreau à devenir co-directeur du Théâtre de la Cité. Chéreau était aussi un partisan déclaré du théâtre populaire, et il avait passé trois ans à organiser une compagnie théâtrale permanente à Sartrouville, une des cités-dortoirs de la « banlieue rouge ». Ses mises en scène se sont surtout fait remarquer pour leurs qualités visuelles extraordinaires. Comme Planchon, il attribue au décor un rôle très actif.

Dans ses mises en scène des années 70, Planchon revint plus ou moins aux préoccupations de ses débuts au Théâtre de la Comédie, mais revues à la lumière des quinze années où Brecht avait exercé une influence prépondérante sur la scène française en dehors de Paris. A la suite des bouleversements issus de mai 68, beaucoup de gens firent remarquer que même les meilleures mises en scène des pièces de Brecht n'avaient produit aucun effet politique sur les spectateurs.

Au même moment, il y eut un regain d'intérêt pour Artaud: selon lui le théâtre devait agresser le spectateur, jouer sur ses peurs enfouies, remettre en cause sa personnalité profonde. Pendant quelque temps, ce fut un lieu commun de la critique de l'époque, un théâtre qui réaliserait l'union de Brecht et d'Artaud (marxisme et surréalisme).

Arthur Adamov

Dans ses propres pièces, Planchon réalisa cette fusion à sa manière (très différente de celle d'Adamov dans son œuvre des années 60). Lorsque, en 1975, Planchon se remit à la mise en scène de textes d'Adamov, cela prit la forme d'un hommage au maître. Le drame, pour Adamov, c'était que, depuis Les Ames Mortes, aucune de ses pièces n'avait été montée par Planchon. Dramaturge de l'absurde, il avait eu de l'originalité ; dramaturge engagé, ce n'était plus qu'une pâle imitation de Brecht.

Adamov s'attira ces reproches en prétendant que Le Printemps 71 était meilleure que la pièce de Brecht Jours de la Commune. Il eut plus de succès avec une courte pièce « névrotique » La Politique des restes, dans laquelle il superposait le complexe de persécution d'un individu et une situation politique d'ensemble. Dans la pièce, le personnage principal, Jonnhie Brown, un blanc d'Afrique du Sud, est hanté par l'image de noirs qui le contraignent à ingérer des déchets qui se multiplient dans la ville. Le traumatisme est inextricablement lié à l'histoire collective, l'individu somatisant de façon pathologique la violence de l'Histoire. A travers le procès (une parodie de justice) de Jonnhie Brown qui a assassiné un noir, Adamov analyse la peur d'une société américaine colonialiste et raciste qui craint de voir les noirs la submerger, des noirs qu'elle a déshumanisés en les traitant comme objets. La correspondance entre la névrose individuelle et la collective qui ne peut engendrer que la mort. A travers la confrontation du théâtre du moi au théâtre du monde, il ne s'agit plus de décrire le réel comme une force occulte qui menace d'anéantir un individu désocialisé comme dans les premières pièces d'Adamov, mais de représenter concrètement l'univers objectif comme historique et transformable.

Vers 1965, Adamov traversa une longue période de maladie et d'alcoolisme ; son œuvre en souffrit en qualité comme en quantité. Mais quatre ou cinq ans plus tard, il se remit suffisamment pour écrire une remarquable autobiographie, L'Homme et l'Enfant, et une de ses plus grandes pièces, Off Limits.

Off Limits se déroulait aux U.S.A. et permettait à Adamov de s'inspirer de ses propres obsessions tout en les plaçant dans un contexte politique et social précis. Lors de ses deux visites aux U.S.A. il avait découvert le monde du spectacle, le milieu universitaire, et y avait retrouvé son masochisme, son alcoolisme et ses pulsions d'autodestruction. Adamov construisit sa pièce autour d'un certain nombre de « parties » où à chaque fois, on organise des jeux. Grâce à ces jeux, Adamov révèle les attitudes fondamentales de ses personnages. La structure de la pièce reflète parfaitement son contenu; on passe avec une très grande aisance d'une action à la suivante, d'un jeu ou d'une conversation à l'autre, exactement comme dans une partie. Mais le passage d'une action à l'autre est trop brusque. Cette pièce laisse apparaître aussi bon nombre d'éléments brechtiens.

Off Limits est dans l'ensemble une pièce réussie, parce qu'elle réunit l'angoisse personnelle et le désastre général, en montrant comment chacun sert à expliquer l'autre dans un contexte social bien réel. La pièce n'est pas bâtie autour d'un personnage unique: elle met en scène une douzaine de personnages d'égale consistance. C'est une pièce difficile à lire car elle dépend considérablement de l'imagination du metteur en scène, et qu'elle exige beaucoup d'engagement dans le jeu.

Si l'été revenait est la dernière pièce d'Adamov et la plus mystérieuse. Cette pièce se compose de quatre rêves. Ici Adamov sacrifie le commentaire politique proprement dit, mais réussit à atteindre une littéralité extrême.

Quand Planchon se remit à travailler sur les textes d'Adamov, c'était avec l'intention de faire connaître l'homme lui-même. Planchon sentait que ce n'était pas dans l'une de ses pièces que s'était déroulé le conflit le plus émouvant de la vie d'Adamov, mais bel et bien dans sa propre personne. Il révéla donc l'homme tout autant que l'œuvre. Sa pièce s'intitulait A.A. Théâtres d'Adamov. Dans cette pièce il jouait les contradictions internes d'Adamov, largement puisées dans les textes de Le Sens de la marche et de Comme nous avons été.

Le Sens de la marche (dont les sous-entendus autobiographiques sont évidents), présente un personnage central, Henri, qui se trouve placé dans différentes situations: le foyer, l'armée, une église, une école ; et chaque fois, il se heurte à l'autorité d'une figure paternelle, toujours la même. Quelques-uns de ses amis s'en vont former un groupe révolutionnaire. Ils le pressent de se joindre à eux. Lui-même en éprouve le désir, et leur déclare qu'il ira bientôt les rejoindre ; cependant il n'y arrive jamais, et finit par trahir l'un d'entre eux.

Comme nous avons été, nous présente un autre personnage appelé A. (encore plus visiblement autobiographique), endormi dans un lit. La Mère et la Tante, arrivent et le réveillent pour lui demander s'il n'a pas vu « leur petit garçon » qui jouait à la balle dans le couloir. Bientôt, A. Se met à jouer le rôle du petit garçon. Planchon réunit des scènes tirées de ces deux pièces, sans aucunement les modifier, mais en les plaçant en contrepoint, de façon à ce qu'elles construisent l'image d'un milieu familial répressif.

Adamov fut l'un des rares auteurs capables de susciter un grand enthousiasme, à Paris et en province. Un nombre considérable de metteurs en scène et de compagnies travaillèrent sur ses pièces au début de leur carrière. L'une des raisons en est qu'il utilisa le langage à la manière d'un instrument de haute précision pour peindre la crise que traverse l'homme du XXe siècle. Adamov réussit à créer une forme dramatique assez flexible pour traiter à la fois de la complexité du subconscient et des désordres de la société capitaliste contemporaine.

Les mises en scène de Planchon, au cours des années 70, expriment presque toutes les préoccupations qu'il partageait avec Adamov : la peur de la mort, l'impuissance politique, et la privation des satisfactions élémentaires imposée par des autorités toutes puissantes et acceptés avec fatalisme. La complexité des mises en scène de Planchon exige du public une attention soutenue. On lui reproche parfois de faire un théâtre trop difficile, si l'on considère qu'il souhaite attirer un très large éventail de spectateurs. Mais il refuse d'admettre que faire du théâtre populaire doive exclure la qualité. Planchon a toujours affirmé que pour amener les gens non cultivés au théâtre, on doit leur présenter les meilleures choses au monde, et ensuite, voir ce qui se passe.

Les années 60

Il ne faut pas laisser dans l'ombre l'expansion considérable que le théâtre décentralisé avait connue au cours des années 60. Dans bien des régions, ce furent des équipes de jeunes qui firent le travail: la seconde génération dans la décentralisation. Des jeunes qui avaient décidé de monter une compagnie et de s'installer dans une zone urbaine déshéritée, ou dans une ville de province qui ne possédait pas encore un théâtre permanent. La multiplication de nouvelles jeunes compagnies créa une intense activité au sein du mouvement de décentralisation, qui n'allait pas sans quelque instabilité.

On procédait de la façon suivante: une compagnie s'installait dans une localité dont la municipalité voulait bien lui accorder quelques subventions; puis elle essayait d'obtenir du Ministère de la Culture une aide financière supplémentaire.

Le Ministère avait créé une section théâtre, avec des inspecteurs qui avaient pour mission d'évaluer la qualité du travail des compagnies et de leur attribuer des subventions selon leurs mérites respectifs. Si le niveau de la compagnie était jugé suffisant, son directeur devenait « animateur »; il recevait une petite subvention, et sa compagnie obtenait le statut de Troupe Permanente. En même temps, quelques nouveaux Centres Dramatiques, furent mis en place; et les animateurs furent encouragés à étendre leurs activités jusqu'au moment où on les jugerait dignes de diriger un Centre. Pour le directeur d'un Centre, la récompense suprême était d'être promu directeur d'une Maison de la Culture. Ces Maisons devaient être fondées conjointement par le Ministère de la Culture et les municipalités locales, et administrées par un directeur responsable devant un comité composé de conseillers municipaux, d'industriels et de représentants de certains collectivités locales.

Aux alentours de 1965, une demi-douzaine de Maisons fonctionnaient, un nombre égal s'apprêtait à en faire autant; mais il n'y avait que deux compagnies permanentes: à Caen et Bourges. En général, la structure administrative des Maisons ne facilitait pas l'existence de compagnies théâtrales à plein temps. Malgré l'insuccès des Maisons de la Culture en ce qui concerne le théâtre, les nouveaux Centres et Troupes Permanents établis durant les années 60 représentent un progrès considérable. Le répertoire de ces jeunes compagnies était assez semblable à celui des cinq Centres qui avaient vu le jour dans les années 50. C'est surtout dans l'esprit et le style que se trouvait la différence. Molière et les classiques étaient joués dans l'esprit de Brecht, en empruntant à Planchon les idées et les techniques dont il avait été l'initiateur. Ils optèrent pour le théâtre politique et prirent plaisir à monter des pièces que l'on avait cru, jusqu'ici, dépourvues de tout contenu politique. Peu à peu ils firent entrer un certain nombre d'auteurs contemporains dans leur répertoire. Ces nouveaux auteurs étaient parfois des écrivains locaux qui avaient établi des liens étroits avec la troupe, et eurent ainsi la chance de voir jouer successivement plusieurs de leurs pièces par les mêmes comédiens.

Vers la fin des années 60, plusieurs de ceux qui étaient impliqués dans le mouvement de décentralisation réalisèrent qu'ils ne savaient plus très bien où ils en étaient. Ils s'étaient imaginé qu'ils feraient bouger les gens, en les encourageant à penser par eux-mêmes et à remettre en question les bienfaits de la société de consommations. Mais ils découvrirent qu'en fait, leurs efforts avaient souvent abouti à des résultats contraires. De Gaulle président, cela voulait dire le rétablissement de la grandeur nationale et les nouvelles compagnies se trouvèrent enrôlées dans la vaste équipe de cette reconquête. Loin d'encourager les spectateurs à remettre en question le statu quo, elles devenaient les gardiens d'un musée où l'on exposait le prestige culturel français. Ces compagnies sentirent qu'on les avait flouées, et qu'au lieu d'arriver à faire entendre leurs protestations, elles servaient à dorer la pilule de l'état capitaliste.

Ce sentiment fut entretenu par des influences venues de l'étranger. Grâce à Living Theatre et Le Théâtre Laboratoire de Grotowski, les Français eurent la révélation d'un théâtre de l'immédiateté et des réactions viscérales, qui possédait une force émotionnelle qui s'était parfois perdue en raison d'une trop grande fidélité à Brecht et à un théâtre rationnel. Lors des événements de mai 68, les étudiants occupèrent souvent le théâtre local qui leur fournissait un forum idéal pour leurs débats. Souvent prêts à battre leur coulpe, de nombreux gens de théâtre admirent les accusations d'élitisme et d'inadaptation lancées par les étudiants, et s'engagèrent à essayer de changer de stratégie. Ce changement d'attitude et d'objectif fut violemment contrecarré par le ministère; et certains directeurs furent congédiés en raison de leur activité politique, jugée incompatible avec leur statut.

Au cours de l'été 1968, ils se retrouvèrent à Villeurbanne, pour discuter de la crise. Ils en vinrent à la conclusion qu'il existait une forte opposition ouvrière à la vision gaullienne de la France. Ils les baptisèrent le « non public », et résolurent de faire tous leurs efforts pour orienter le théâtre dans leur direction. Mais le répertoire « ouvrier » susceptible de plaire à ce « non public » était bien pauvre. La solution consistait à créer eux-mêmes ce répertoire. Ils suivirent la méthode de la création collective. Les méthodes de la création collective ne rencontrèrent pas la faveur de tout le monde. Dès le départ, beaucoup pensèrent que cela conduirait à une médiocre dramaturgie de « comité » : d'autres s'intéressèrent davantage à une totale réévaluation de la notion « théâtre-service public ». La nouvelle génération voulait préciser un ensemble d'objectifs politiques. Puisque les nouveaux théâtres décentralisés avaient dû une grande part de leur réussite à des reprises de pièces classiques, un débat s'instaura pour déterminer jusqu'à quel point elles répondaient aux exigences d'un théâtre populaire. Les communistes des années 30 avaient affirmé que le répertoire classique n'était pas pour le peuple, il était fait pour les aristocrates et les bourgeois d'où il était issu. Les porte-paroles du Front Populaire avaient soutenu que l'art appartenait au peuple, et que le peuple saurait l'apprécier si on lui en donnait l'occasion. Ces nouveaux militants pensaient que seul un théâtre orienté vers les situations politiques et sociaux propres à la classe ouvrière pouvait être util. Le faible pourcentage d'ouvriers à fréquenter les théâtres était une contradiction. Ils adoptèrent donc la seule alternative possible: ils descendirent dans la rue recruter de nouveaux spectateurs. Les théâtres qui, jusqu'à un certain point éprouvèrent le moins la nécessité de repenser leurs méthodes furent ceux dont la ligne générale était déjà plus ouvertement orientée ver la politique avant 1968, c'est-à-dire les théâtres des banlieues ouvrières.

Au même moment, d'autres directeurs de compagnies s'impatientaient de voir les violentes oppositions qui divisaient le théâtre en deux camps : les uns se réclamant de l'actualité politique, les autres d'une recherche artistique et métaphysique.

Dramaturges des années 60 : Césaire, Cousin, Gatti.

Aimé Césaire

Aimé Césaire est un dramaturge qui ne tient aucun compte des catégories de la critique traditionnelle. Ses pièces sont poétiques et politiques. Il n'a jamais été associé à aucun théâtre décentralisé bien que ses pièces illustrent parfaitement les objectifs de ce mouvement. Les deux grandes pièces de Césaire, La Tragédie du Roi Christophe et Une Session au Congo réalisent un renouvellement sans pareil du style dramatique, tant par l'emploi du langage que par la structure.

Césaire commença ses activités littéraires en tant que poète historien et homme politique. Son poème le plus célèbre, Cahier d'un retour au pays natal, fut publié pour la première fois en 1939. Il y exprimait une image de lui-même inévitablement assortie d'un complexe d'infériorité dû à sa négritude.

Sa première pièce Et les chiens se taisaient parut sous forme d'un long poème dans le recueil intitulé Les Armes miraculeuses (1946). Dix ans plus tard, Césaire la réécrivit et la publia séparément, mais ce n'est pas une très grande réussite théâtrale: c'est, avant tout, un poème. C'est à la même époque que les états d'Afrique Occidentale acquirent leur indépendance, et c'est à eux que pensa Césaire en écrivant ses pièces. Mais ses méthodes et ses objectifs rejoignaient ceux du théâtre décentralisé français. Deux raisons le décidèrent á faire œuvre de dramaturge plutôt que de poète: il pouvait atteindre un public plus vaste, et il voulait aborder des sujets plus directement politiques.

Par son style, ce théâtre s'intégrait au mouvement de décentralisation. Les pièces de Césaire présentent toutes les caractéristiques du théâtre épique. Avant tout elles visent à susciter les réactions critiques des spectateurs. Césaire pensait que, pour les noirs, la plus grande libération consistait à évacuer de leurs esprits cette image d'eux-mêmes que des siècles d'impérialisme blanc avaient gravée. L'effet le plus pernicieux de l'époque coloniale fut que les noirs se voyaient eux-mêmes avec des yeux d'hommes blancs. Il leur était impossible de respecter leur civilisation car ils se considéraient comme des non-civilisés.

Grâce à la technique des points de vue, La Tragédie du Roi Christophe nous présente une remarquable adaptation théâtrale du problème de l'identité noire. Chaque regard posé sur le roi ou sur la situation du pays est contredit par un autre. La pièce commence par un prologue, qui est un combat de deux coqs qui portent les noms des deux leaders politiques, Pétion et Christophe. On nous montre ici le tempérament du petit peuple de Haïti, fait de gaîté bruyante et d'indiscipline, prompt à l'excitation, prêt à tourner n'importe quoi en plaisanterie ou en pari. Ceci donne lieu à un scène où l'on voit s'affronter au Sénat Pétion et Christophe. Pétion essaie de neutraliser Christophe en lui offrant le poste de président, mais Christophe refuse la proposition et va fonder un royaume séparé au nord de l'île, et contrôlé par ses partisans. Le reste de la pièce couvre la période 1811-1820 pendant laquelle Christophe régna en Haïti. En portant à la scène cette période de l'histoire haïtienne, Césaire présentait les opinions discordantes que suscitèrent l'émancipation africaine au cours des années 50 et 60. Selon les points de vue, Christophe est un héros ou un tyran. Lui, il estime qu'il est le père de son peuple, et que tous les Haïtiens forment sa famille. Il prétend rendre lui-même la justice. Il refuse de partager ses terres entre ses courtisans, en alléguant que la terre lui appartient, et qu'à travers sa personne, elle appartient au peuple haïtien. Mais cette vision que Christophe a de lui-même, vient s'opposer l'expérience de ceux qui vivent sous sa loi. La liberté telle que Christophe la conçoit se transforme en une sorte de tyrannie. Les scènes où apparaît Christophe alternent habilement avec celles où il n'apparaît pas, si bien qu'une dialectique se crée entre la vision de Christophe et l'opinion du peuple.

La structure de la pièce est brechtienne, puisque tout jugement porté sur le roi ou la situation politique se trouve subverti par un autre jugement dans la scène suivante. Cette méthode sert à peindre de façon très saisissante les luttes postcoloniales, puisque la plupart des contradictions de Christophe découlent de son désir de combattre l'image raciste que l'on se fait de l'homme noir. Son comportement tyrannique n'est pas présenté comme le résultat inévitable de la corruption née du pouvoir, mais comme la conséquence malheureuse de la lucidité avec laquelle il comprend le problème: il a saisi que les noirs doivent se libérer de l'image d'eux-mêmes qu'ils se sont laissé imposer par la civilisation coloniale.

La pièce est une tragédie. Elle tire sa force de la richesse et de la variété du langage dramatique dans lequel sont exposés tous ces problèmes. Nous passons de la place du marché à la cour, du champ de bataille à l'église; les personnages appartiennent à toutes les couches de la société, et leurs idiomes sont remarquablement différenciés.

La pièce a été montée par Jean-Marie Serreau. Pendant les années 60, on l'identifia au jeune théâtre africain et caribéen, car il forma une équipe d'acteurs noirs et monta de nombreuses pièces écrites par des noirs. La mise en scène de Serreau fit ressortir la nature profondément gestuelle du théâtre de Césaire. Serreau ne put obtenir d'aide financière en France, c'est donc au festival de Salzbourg de 1964 que la pièce fut jouée avec succès. La deuxième pièce de Césaire, Une Saison au Congo, fut elle aussi jouée pour la première fois hors de France, à la Biennale de Venise de 1967. Cette pièce présente quelques ressemblances avec la précédente: elle tourne autour de Patrice Lumumba, de ses tentatives pour fonder une république congolaise indépendante, et de ses échecs pour avoir voulu en faire trop, et trop vite. De nombreux critiques furent déçus par cette pièce qui, selon eux, n'avait ni la force ni la subtilité de La Tragédie du Roi Christophe. Avec Une Saison au Congo, il voulait abandonner la reconstruction historique du Roi Christophe pour porter à la scène directement la réalité contemporaine. Pour ce faire, il décida de s'inspirer surtout des modèles africains traditionnels. Le thème principal de la pièce est la fragilité des états africains nouvellement émancipés devant les forces néo-coloniales.

Césaire insistait beaucoup sur le fait que l'homme Lumumba ne constituait pas le point central de sa pièce, il fallait le considérer comme  un individu qui représente une collectivité.

En adaptant à ses besoins d'expression un modèle africain traditionnel, Césaire put écrire une pièce qui dépassait le côté négatif de la défaite de Lumumba.

Même si la structure d'Une Saison au Congo repose moins sur la dialectique que la pièce précédente, on y trouve d'autres procédés épiques, communs aux deux pièces. L'une et l'autre sont composées de scènes brèves, sans liaison apparente. Dans les deux pièces, on trouve une alternance d'épisodes comiques et sérieux, et des moments où la poésie du langage suspend le cours de l'action.

Avec Une Tempête, Césaire continua à célébrer la créativité noire et à dénoncer la faillite de l'idéologie européenne.

Gabriel Cousin

L'œuvre de Cousin s'inscrit dans le courant principal du théâtre décentralisé de l'après-guerre. Cousin est resté fidèle aux idéaux du théâtre populaire tels qu'ils furent définis tout de suite après la guerre. Il doit plus, semble-t-il, au catholicisme qu'au marxisme, et son œuvre n'a pas beaucoup attiré la génération plus radicale d'après 1968.

Pendant la seconde guerre mondiale il devint instructeur sportif. Après la guerre, il alla s'installer à Grenoble où il poursuivit ses activités dans l'éducation sportive. Il se mit à écrire des vers à la fin des années 40. C'est au sport qu'il s'est toujours intéressé le plus. Il n'a cessé de proclamer que, pour lui, le mouvement du corps humains est le fondement du théâtre. Pour Cousin, les années d'occupation furent celles de la découverte et de l'apprentissage en autodidacte.

Les pièces de Cousin prennent pour thèmes les grands problèmes mondiaux de notre époque (la faim, le racisme, l'exploitation de l'homme, la menace nucléaire). Tous les personnages sont des ouvriers ou des paysans. Le cadre varie et les méthodes de Cousin sont inspirées des formes théâtrales orientales et sud-américaines.

C'est d'abord par la poésie qu'il se sentit attiré. Son théâtre garde la trace de ses origines: chaque pièce comprend des passages d'écriture poétique déclamés dans un style d'oratorio, qui arrêtent le déroulement de l'action. Chaque pièce est construite autour d'une histoire d'amour, et essaie de montrer comment cette relation peut transformer la vision de l'existence « ordinaire ».

Sa pièce Le Cycle du Crabe nous raconte comment les habitants du bidonville aux portes de Récife vivent dans la misère et le désespoir. Le taux de mortalité est élevé. La seule source de nourriture, ce sont les crabes qui infestent les marécages et s'engraissent des cadavres. Dans ces conditions, Cousin nous montre les mouvements et les chants d'un « chœur » de pêcheurs de crabes. Il y a de la beauté dans leurs mouvements et dans leur musique, malgré l'horreur de ce qui les entoure.

Les pièces de Cousin abondent en chanson et en mouvement, car, pour lui, la festivité est essentielle au théâtre populaire. Ce n'est pas la psychologie et l'environnement qui déterminent les personnages de Cousin, mais les costumes, les masques, les mouvements. Tout cela contribue à réduire la tendance au naturalisme, et facilite l'éclatement de la pièce en une série de scènes aux rythmes contrastés.

Changer nos façons de voir pour faire face aux nouvelles conditions d'existence, était une nécessité dont Cousin allait faire son thème principal. Dans Le Drame du Fukuryu-Maru, l'on voit ainsi Matsuyama, une fille qui a été défigurée et rendue stérile huit ans plus tôt par la bombe de Nagasaki. Elle resta amoureuse de l'un des pêcheurs, mais elle a honte de sa laideur et ne peut accepter l'amour qu'il lui offre. Elle part subir une opération. Entre temps, le pêcheur est victime des retombées de la bombe H; et lorsqu'elle revient, belle à nouveau, l'homme est mort. Elle est tentée de se laisser aller au désespoir, mais accepte de se joindre aux villageois afin de mobiliser l'opinion contre les essais nucléaires. Cette pièce présente un bon exemple de la force et de la faiblesse de l'écriture de Cousin. La pièce traite de l'amour et évite le piège de l'individualisme sentimental. Mais d'un autre côté, elle adopte une vision idéaliste des relations au sein de cette communauté de pêcheurs, si bien que le message de paix est trop naïf pour convaincre.

Mais c'est encore la naïveté qui gâte les deux pièces suivantes: L'Aboyeuse et l'Automate et l`Opéra noir. La première essaie d'appréhender les réalités de la vie urbaine d'aujourd'hui à travers les notions d'aliénation et d'absurdité du Nouveau Théâtre. La seconde est une pièce simple, qui attaque de front le thème du racisme: la musique de jazz nègre y joue un très grand rôle. Ce drame musical sur la violence raciste réussit à créer une émotion intense, bien que l'on ne dépasse pas le stade de l'indignation morale.

Mais au théâtre, les pièces de Cousin, par la multiplicité des procédés mis en œuvre, ont assez de souffle et d'intérêt pour connaître le succès. Avant tout, il croit que poésie et dramaturgie appartiennent à une activité créatrice plus générale et essentiellement pratique, accessible à tous, qui constitue la seule réaction efficace à l'oppression et à l'aliénation.

Armand Gatti

Comme Cousin, Gatti croit à la valeur créatrice de la réaction de l'individu confronté à son environnement. Il rejette toutes les conventions établies dans le domaine de l'expression artistique, et essaie de développer une conception nouvelle de l'art, selon laquelle il n'y a plus de spectateurs, mais uniquement des participants. Dans les années 60, il écrivit un grand nombre de pièces politiques. Les pièces d'Armand Gatti inscrivent les inquiétudes historiques, politiques et sociales de son auteur, qu'il s'agisse des camps de concentration, de la lutte syndicale, du fascisme, de la bombe atomique, de la guerre du Vietnam, de la spéculation immobilière ou des exclus de la société (immigrés, délinquants et détenus).

Né en 1924 dans une famille d'immigrants pauvres, Gatti n'avait que dix-sept ans lorsqu'il fut capturé et déporté dans un camp de travail en Allemagne. Cette expérience concentrationnaire allait le marquer pour le reste de ses jours.

Il avait toujours écrit des vers. Après la guerre, il se fit journaliste, et se tailla un grand succès dans cette carrière, avant de l'abandonner à la fin des années 50 pour s'occuper de théâtre et de cinéma. Les pièces qu'il écrivit et monta reposent sur une foi optimiste, et un peu naïve, dans le pouvoir du théâtre à changer le monde. En écrivant des pièces à thèmes politiques et historiques, il suivait la même voie que Planchon et Adamov, qui avaient refusé de s'engager dans l'impasse de l'Absurde. Gatti allait utiliser les modes de perception et les techniques du Nouveau Théâtre pour créer une nouvelle forme de théâtre épique qui pourrait faire face à des situations historiques réelles.

Les personnages de Gatti sont toujours en crise. Pour Gatti, la cohérence est toujours trompeuse. Si l'on veut saisir un être humain dans sa totalité, il faut alors comprendre ses contradictions, et surtout les idées et les sentiments qui peuvent varier en fonction de son âge. Gatti ne cherche pas ce qui rend cohérent et unifie un personnage, mais la manière dont son passé s'oppose à son présent.

La Vie imaginaire de l'éboueur Auguste Geai, pièce autobiographique, nous fournit un bon exemple de la méthode suivie par Gatti. Pour dépeindre son père, Gatti nous le présente à cinq âges de sa vie. Autour du mourant âgé de quarante-six ans, trois autres Auguste Geai à d'autres âges de l'existence et un quatrième sans âge, rappellent le passé du personnage : l'enfance dans un bidonville du quartier de la Vierge, la guerre 14-18, la vie d'éboueur rythmé par les conflits sociaux. Chaque rôle est joué par un acteur différent, si bien qu'ils peuvent être en scène tous les cinq en même temps. L'action est faite des souvenirs et des rêves d'Auguste Geai durant les dernières heures de sa vie sur le lit d'hôpital sur lequel il va mourir à l'âge de 46 ans car il a été matraqué par un C.R.S. au cours d'une grève. La réalité du personnage Auguste Geai doit être saisie à travers les jeux des différents espaces temporels. Cela donne à Gatti une grande flexibilité: les facteurs psychologiques individuels s'entrelacent avec les réalités extérieures pour créer une existence humaine.

Plusieurs autres pièces de Gatti écrites à cette période abordent la naissance de la conscience révolutionnaire d'une façon plus directe, en racontant un épisode de la guerre civile en Chine (Un Homme Seul) ou la lutte pour l'indépendance au Guatemala (La Naissance). L'autre thème dominant de Gatti pendant les années 60 fut l'expérience des camps de concentration. Tel est le point de départ de L'Enfant-Rat, de Chroniques d'une planète provisoire et de La deuxième existence du camp de Tatenberg. Ces pièces s'appliquent à montrer comment les survivants des camps en ressentent encore les effets. Il traite aussi le thème nucléaire dans sa pièce La Cigogne.

Durant les années 60, les pièces de Gatti furent très demandées par les théâtres décentralisés, toujours plus nombreux. Mais ce fut, pour Gatti, une période de désenchantement. Toutes ses pièces reposent sur l'hypothèse que le théâtre peut influencer la vie; mais il découvrit que ses œuvres devenaient des produits culturels qui faisaient recette. Il se rendit compte que l'effet de choc était neutralisé par les méthodes de programmation des théâtres, qui glissaient ses œuvres dans un répertoire par ailleurs conventionnel.

Avec V comme Vietnam il a l'occasion de faire directement une déclaration politique. La pièce opposait la stratégie mécanisée, informatisée, des généraux du Pentagone, à la simple volonté de résistance du peuple de vietnamien. Elle essayait de montrer que la guerre du Vietnam n'était pas fondamentalement une lutte entre communisme et capitalisme, mais « entre l'esprit humain et l'esprit robotisé ». Gatti rencontra des difficultés à montrer sa pièce. Les tensions et les désagréments qui s'ensuivirent incitèrent Gatti à croire qu'il existait trop d'intérêts contradictoires dans le théâtre conventionnel pour que celui-ci puisse devenir un médium politique satisfaisant. Il devenait impossible à un écrivain, à un acteur ou à un metteur en scène, de s'adresser directement au public.

Cela allait pousser Gatti, dans les années 70, à faire campagne pour un « théâtre sans spectateurs ». Mais ce fut une réalisation du T.N.P. en 1968 qui persuada Gatti de tourner le dos au théâtre traditionnel. Cette pièce était La Passion du Général Franco. Dans cette pièce, l'une des meilleures de Gatti, on voit Franco à travers les expériences de ceux qu'il avait contraints à l'exil. Nous suivons quatre groupes de gens dans leurs voyages : de Madrid à Francfort, de Kiev à Krasnoïarsk, de la Havane à Mexico, et de Toulouse à Madrid. Ce procédé permet à Gatti de fragmenter le temps et l'espace. Une fois les quatre itinéraires bien précisés, le spectateur est amené à considérer chacun de ces voyages d'un regard influencé par ce qui s'est passé dans un autre. La répression brutale de Franco engendre un esprit de résistance et, à la fin de la pièce, les différents groupes, séparés par le temps et l'espace, expriment tous ensemble leur volonté de résister. Le gouvernement interdit de jouer la pièce dans tous les théâtres subventionnés. Gatti fut finalement convaincu de la nécessité de sortir le théâtre du théâtre. Il fallait que Franco meure pour que la pièce puisse être jouée en France.

De la fin des années 60 à aujourd'hui, l'œuvre de Gatti a surtout poussé les spectateurs à remettre en question leur existence de tous les jours, en abandonnant les hypothèses ordinaires et en exprimant des sentiments qui sont en général réprimés par la vie civilisée. Au début des années 70, on vit apparaître de nombreux films prônant une libération des contraintes de la vie industrielle moderne. Mais pour Gatti, ces expériences n'étaient pas satisfaisantes, car en premier lieu, elles ne modifiaient en rien le rôle passif du public. Ensuite, Gatti se méfiait de ces essais de libération psychologique qui faisaient fi de la dimension historique. Dans ses pièces, il avait toujours pris comme point de départ une personne ou un événement accessible à tout historien. Il n'abandonna pas cette méthode en quittant le théâtre conventionnel.

Il a considérablement influencé les jeunes groupes théâtraux des années 70, en leur prouvant qu'on peut faire un travail original sans s'abriter sous le toit d'une Maison de la Culture ou d'un Centre Dramatique. Gatti a voulu à la fois dénoncer des situations historiques précises, et cherché à faire éclater les repères dramatiques traditionnels.

Césaire, Cousin et Gatti pratiquent le genre épique, mettant en évidence la réalité concrète, vécue de l'Histoire. Il existe entre les pièces de ces trois auteurs des différences évidentes, dues à leurs positions idéologiques: Césaire encourageant une certaine forme de négritude, Cousin une certaine forme d'humanisme, et Gatti une certaine forme d'anarchisme. Chacun à sa façon essaie de trouver un nouveau mode de pensée.

  • Le théâtre total

Jean-Louis Barrault, Roger Blin

Jean-Louis Barrault connut son premier grand succès de metteur en scène avec Le Soulier de Satin de Claudel. Il a influencé profondément le théâtre français. Son nom est lié à la conception du théâtre total. Depuis ses débuts, Barrault s'est fait une réputation d'acteur et de metteur en scène d'avant-garde.

La première mise en scène expérimentale de Barrault fut Autour d'une Mère, une adaptation de Faulkner en 1935. Artaud écrivit que ce spectacle était une démonstration éclatante de l'importance du geste et du mouvement dans l'espace. « Jean-Louis Barrault n'a cessé de porter une attention passionnée au langage du corps », la voix et les mouvements de l'acteur pour créer un théâtre dont la richesse expressive était indépendante des décors et des costumes traditionnels, créateurs d'illusion. Barrault fut aussi influencé par Etienne Decroux, le plus célèbre professeur de mime de l'entre-deux-guerres.

Il continuait à considérer l'acteur et son corps comme moyen d'expression essentiel. Il rejette les traditions de la pose statufiée, du ton uniformément grave dans les pièces « sérieuses ». Le théâtre total devait utiliser des moyens multiples: plaisanteries, acrobaties, chants et danses. C'est grâce à l'alliance de tous ces éléments que Le Soulier de Satin put devenir quelque chose d'aussi extraordinaire. Durant la décennie qui suivit la guerre, Barrault continua à donner des œuvres de Claudel, et cette association avec un auteur difficile l'aida à développer les méthodes de jeu et de mise en scène qui avaient triomphé dans Le Soulier de Satin. Ce furent successivement Le partage de Midi, L'Echange, Christophe Colomb, Tête d'Or, et Sous le Vent des îles Baléares. Lorsque Malraux le nomma directeur de l'Odéon en 1959, el décida de commencer par Tête d'Or, une pièce de début, que Claudel avait interdit à Barrault de monter de son vivant.

En travaillant sur les textes de Claudel, Barrault met l'accent sur la participation active de chaque élément du langage théâtral, et pas seulement de l'expression physique de l'acteur. Les différents éléments scéniques contribuaient à la signification de l'ensemble. Mais il ne faudrait pas croire qu'il n'appliqua ces méthodes qu'à Claudel. Barrault proposa au public un choix extrêmement varié: pièces tirées du répertoire classique, et surtout pièces nouvelles ou adaptations.

C'est sur des systèmes ternaires que Barrault fonde sa théorie de l'art et sa métaphysique de l'acteur. Il ne peut résister à monter la trilogie de l'Orestie, ni au défi que représentait pour un metteur en scène moderne les chœurs antiques. Ses techniques expérimentales s'appliquent fréquemment à des adaptation d'œuvres non dramatiques: Le Procès, et Le Château de Kafka; La Tentation de Saint-Antoine de Flaubert; Rabelais et Jarry sur la butte. Le théâtre de Barrault s'identifia au Nouveau Théâtre. Pourtant, ni Beckett ni Ionesco n'y furent représentés avant les années 60.

En 1968, les étudiants occupèrent l'Odéon et y tinrent leurs débats. Barrault s'adressa aux étudiants et leur demanda pourquoi ils s'en prenaient à lui, alors qu'il avait toujours sympathisé avec eux. Il fut révoqué et il s'installa dans une salle de catch près de Clichy, où il mit en scène des textes de Rabelais. On peut attribuer le succès de Rabelais à une combinaison d'éléments tirés de tous les styles dramatiques à la mode, et réunis dans un espace libéré des contraintes de la herse, des loges, de la peluche rouge et autre attirail de la salle de l'Odéon.

Toutefois, l'effet général était plutôt décevant. Il manquait la solide charpente dramatique d'une pièce de Claudel; et le point de vue de Rabelais se réduisait au slogan « fay ce que vouldras ». Le mélange hardi des styles, fascinant en lui-même, ne servait à explorer aucune idée importante, aucune situation significative. Il en fut de même, pour le spectacle de 1970 monté dans la même salle de catch, Jarry sur la Bitte, ou pour d'autres spectacles du même genre montés au théâtre d'Orsay. C'est là que Barrault reprit ses grandes mises en scène de Claudel, et qu'il monta quelques pièces nouvelles. A Orsay comme au Rond-Point, Barrault est entré vivant dans la légende, avec Madeleine Renaud, son épouse; il n'existe pas en France un autre couple d'acteurs qui puisse s'enorgueillir d'avoir joué les premier rôles avec tant de succès depuis l'avant-guerre.

Roger Blin subi les mêmes influences que Barrault. Lui aussi fut élève de Dullin, et fréquenta Artaud. Mais il a une personnalité absolument différente. Blin est plus réservé. Il est intéressant de noter que tous deux s'intéressaient à la peinture lorsqu'ils débutèrent au théâtre. Barrault découvrit vite sa vraie vocation, mais ce fut moins rapide pour Blin. Il ne se mit à jouer que lorsqu'il découvrit que la scène était le seul endroit où il pouvait parler sans bégayer. Blin participa très activement aux premières mises en scène du Nouveau Théâtre. Blin s'accommodait de la violence moins fleurie des textes d'Adamov et de Brecht. Il fut le premier scénographe de En attendant Godot en 1953. Sa persévérance dans les difficultés lui gagna l'estime de Beckett, qui lui confia la réalisation de ses pièces suivantes: Fin de partie, La Dernière Bande, et Oh les beaux jours.

C'est sur les remarquables mises en scène des pièces de Genet que repose la réputation de Blin: Les nègres et Les paravents. Blin et Genet avaient du théâtre une conception concordante. Celle-ci était très proche du théâtre total de Barrault. Blin a un sens très fort du décor, et il est fier d'avoir réalisé le premier l'arbre qui figure dans En attendant Godot. Mais il veut surtout que chaque objet sur la scène soit porteur de sens. Dans les lettres à Roger Blin, Genet a précisé ses intentions : maquillages, décors, costume, jeu, mise en scène, tout doit déranger, apparaître comme faux, comme le sont les rôles assumés sur la scène, sous le regard d'autrui.

Selon l'optique propre au réalisme dramatique, tout objet, une foi placé sur la scène, subit une transformation: il est immédiatement perçu comme signe et donc acquiert un sens. De plus, le sens qui lui est attribué dépendra autant de l'attitude de l'observateur que des qualités inhérentes à l'objet en question.

Un metteur en scène qui conçoit ainsi la réalité au théâtre possède une sorte de liberté d'expression artistique. Parfois il peut représenter une rue, une table, de façon conventionnelle. Parfois, il peut se servir uniquement des acteurs, ou encore, il peut inventer un nouveau système de signes réunissant des éléments tirés à la fois de la réalité et de l'imaginaire.

Il est difficile de séparer la dramaturgie de Genet de la scénographie de Blin.

Jean Genet

Les pièces de Genet tirent leur richesse dramatique particulière du fait qu'elles peignent toutes les gens opprimés qui luttent pour leur libération. Prisonniers, servantes, rebelles, noirs, Algériens sont tous soumis aux contraintes et à une tyrannie d'une espèce ou d'une autre; ils réagissent de façon plus imaginative qu'objective.

En expliquant la façon dont les personnages de Genet conçoivent le monde, on ne peut pas ne pas parler de son expérience à lui. Genet acquit tout jeune le sentiment d'être un étranger. Il accepta cette condition d'étranger, faisant de nécessité vertu. Il s'engagea dans la Légion Etrangère, qu'il déserta peu après et il cultiva la haine de tout ce qui était français.

Genet passa la plus grande partie de sa jeunesse dans des maisons de redressement et en prison. C'est en prison qu'il commença à écrire: Notre-Dame des Fleurs et Miracle de la Rose. Ce sont des romans d'érotisme homosexuel, écrits dans une prose somptueusement poétique; romans théâtraux, en quelque sorte, car ils dépeignent des gens sans cesse préoccupés d'apparence, la leur ou celle des autres. Dans ces romans, les personnages sont hiérarchisés en fonction de leurs actes, plus leur crime a été horrible, plus ils paraissent grands.

Ses 2 premières pièces datant des années 40. Haute Surveillance et Les Bonnes. En 1952 Genet fut canonisé par Sartre, dans son monumental Saint Genet, comédien et martyr, pour avoir donné une sorte de pureté aux valeurs du mal, et fait œuvre d'art à partir du scandale de sa vie de voleur, de bagnard et d'homosexuel. Après cela, il composa trois grandes pièces: Le Balcon, Les Nègres, et Les Paravents. Toutes ces pièces évoquent la dialectique du maître et de l'esclave, où ce dernier jouirait de son état, tout en désirant la mort de l'autre. Au cours des années 60 et 70, il défendit la cause de différents groupes de terrorisme urbain et après s'être identifié aux délinquants, il s'est identifié aux opprimés, aux spoliés et aux gens de couleur. Ses pièces sont des cérémonies destinées à exorciser et à transformer. Ce sont des stratégies pour vaincre l'oppression que subissent leurs personnages, lesquels ont été privés d'une façon ou d'une autre de leur subjectivité et obligés à n'exister qu'à travers le regard des autres.

Dans sa préface des Nègres, Genet explique que la pièce est écrite pour un public de blancs, et que si elle devait être jouée devant un public entièrement composé de noirs, il faudrait que quelqu'un mette un masque blanc et soit installé au premier rang de l'orchestre, pour bien mettre en évidence la nature de la pièce. Genet y accorde d'autant plus d'importance que, pour lui, le sens de ce qui se passe sur scène est créé par les spectateurs autant que par les acteurs. L'action consiste en une série de rites soigneusement préparés dans le but de saper et de faire disparaître le statut de noirs conféré aux acteurs. Quand ils sont entre eux, les Africains se comportent différemment. Si la pièce était jouée en l'absence totale de Blancs, la pièce ne serait pas perçue comme un problème à résoudre, et par conséquent, la pièce perdrait sa fonction principale. La réalité théâtrale dépende de la qualité de la foi, et se manifeste grâce aux forces combinées des acteurs qui l'évoquent et des spectateurs qui, assistant au spectacle, assistent les acteurs.

Las pièces de Genet essaient de présenter un rituel ou un cérémonial qui permettra d'évoquer une croyance, puis de la mettre en doute, et finalement de la renverser. Il lui faut un système de croyance, suffisamment répandu et accepté. Ce système il le trouve en politique, surtout dans l'idéologie concernant les structures du pouvoir et de l'autorité. Les Bonnes et Le Balcon en sont l'illustration: ces pièces reposent sur l'idée que les riches ont besoin de domestiques, ou que la société exige des figures de proue, des juges ou des évêques. La démonstration en est encore meilleure dans Les Nègres et Les Paravents, qui exploitent un préjugé politique profondément ancré : la supériorité naturelle du colonisateur blanc, sur tout ce que les sociétés indigènes d'Afrique peuvent offrir. Le langage lui-même porte sur la marque de ce préjugé puisque le mot noir est la couleur du mal.

C'est donc au niveau du langage, de l'image, de la métaphore que fonctionnent les pièces de Genet. Les personnages officiels, les servantes, les noirs ne représentent pas la réalité du pouvoir ou de l'esclavage, mais son image; des figures sur lesquelles les spectateurs projettent l'idée qu'ils font des hiérarchies sociales et des relations de pouvoir.

Le plus souvent, le rituel a pour fonction de changer la réalité. Les rituels de Genet aboutissent tous à une sorte d'annihilation de soi. Ces pièces ne visent pas à changer ou matricer la réalité; elles n'essaient pas non plus de la critiquer. Genet dit que le théâtre n'est pas là pour résoudre les problèmes sociaux ou critiquer la réalité sociale. Les problèmes ne devraient jamais être résolus au niveau imaginaire, car cela donne au public le sentiment réconfortant que le problème n'existe plus.

Les pièces de Genet exigent un style de jeu particulier. Celui-ci repose sur la mise en évidence des contradictions de l'acteur en scène. Le contraste recherché dans le jeu des acteurs reflète la contradiction entre le monde imaginaire et le monde réel que l'on trouve dans les pièces de Genet. Dans sa dernière lettre à Blin, il suggère ainsi de trouver des gestes qui contredisent les paroles. Dans ses mises en scène, Blin semble avoir trouvé le style du jeu réclamé par Genet. C'est pour la représentation des Paravents à Paris que la collaboration entre Genet et Blin fut la plus étroite. Ce travail, considéré comme exemplaire, réalisa un langage scénique total, où objets, paravent, costumes et acteurs prenaient une part égale dans l'expression. Les paravents exprimaient d'un côté un rejet du décor réaliste conventionnel, et d'un autre côté fournissaient aux acteurs le moyen de concrétiser tout ce qu'ils voulaient, du simple objet aux réactions émotionnelles des personnages ou aux conséquences de leurs actes.

Certains auteurs disent que Genet était influencé par Artaud, mais Genet ne semble pas avoir beaucoup lu Artaud. Il existe entre eux une différence essentielle. Pour Artaud, le théâtre devait toujours être considéré comme un lieu où se révèle la vie. Pour Genet, c'est le vide, un néant qui ne débouche que sur la mort.

Toutes les pièces de Genet nous montrent des « contresociétés ». Les mondes de la prison, du bordel, des noirs et des rebelles se définissent par opposition à la société traditionnelle et bien-pensante. Ceux qui habitent ces mondes savent bien que leur existence, et même leur conscience, est conditionnée par le mépris des autres. Mais les pièces de Genet n'abolissent pas les distinctions sociales dans une vision cauchemardesque. Elles analysent minutieusement les points d'interdépendance entre oppresseurs et opprimés, et nous montrent des cérémonies de métamorphose où les opprimés espèrent changer leur honte en orgueil, et modifier les règles du jeu, afin de retourner la situation aux dépens de leurs oppresseurs.

Genet a consacré une partie importante de son œuvre à l'Afrique. Il a écrit des pièces sur le choc des mentalités africaines et françaises, et qu'il a su dépeindre puissamment la façon dont on impose une idéologie à des colonisés. Même si l'oppression proprement dite des gouvernements blancs n'existe plus en Afrique, il faut des générations, pour évacuer l'esprit colonialiste. En consacrant ses dernières grandes pièces à ce problème, Genet a approché la réalité politique de plus près que nombre de ses commentaires ne le laissent entendre. Les pièces de Genet présentent un affinement extraordinaire des possibilités visuelles du langage théâtral, tout en étalant complaisamment une certaine rhétorique.

Les suicides ou les castrations qui terminent la plupart des pièces ne doivent pas nous déconcentrer. La relation des pièces avec la réalité n'est pas simple. Ce qui se passe sur la scène peut parfois être proposé à notre admiration, parfois non. C'est aux spectateurs qu'incombe la responsabilité de faire le lien avec la simple réalité.

Vauthier, Audiberti, Arrabal.

Malgré leurs différences, ces trois dramaturges ont tous des points en commun avec Genet. Tous trois nous parlent d'un monde de fantasmes et de névroses. Les pièces d'Audiberti et d'Arrabal évoquent la magnificence ou le mal; celles de Vauthier et d'Audiberti ont une force poétique considérable qui, parfois, dégénère en logorrhée. Mais ces auteurs font assez souvent preuve de naïveté dans leur dramaturgie. Leurs pièces ne remettent pas en question aussi radicalement que celles de Genet l'emploi des conventions dramatiques.

Jean Vauthier

Jean Vauthier se fit connaître avec Capitaine Bada, mais il connu son plus grand succès avec Le personnage combattant, un monologue de deux heures un quart interprété par Jean-Louis Barrault en 1956. Barrault réalisa là un extraordinaire tour de force; il transforma la pièce très verbeuse de Vauthier en une sorte de ballet qu'il exécutait à une allure folle autour la scène. La pièce raconte la dernière nuit d'un écrivain qui revient dans la chambre d'hôtel où, bien des années auparavant, il avait essayé de composer une histoire. Toute la nuit il se bat avec les mots qu'il a écrits et avec ses souvenirs pour essayer de retrouver sa jeunesse. Pour Barrault ce fut un triomphe. Entre temps, Marcel Maréchal avait repris Capitaine Bada en 1966. Maréchal, plus massif que Barrault et moins acrobate, la joua à un rythme moins frénétique, mais lui conféra un grand souffle lyrique, sans lui faire perdre son pouvoir de dérision. Maréchal reçut force éloges.

Dans Capitaine Bada le texte a été imprimé sur deux colonnes: l'une pour le texte, l'autre pour les indications scéniques. Mais cette présentation faite seulement mieux ressortir à quel point dialogue et mouvement ont peu de rapports.

La pièce la plus récente de Vauthier est Le Sang. Commandée par Maréchal, elle fut jouée en 1970. Dans cette pièce, Bada revient sous le nom de Angelo-Bada, metteur en scène et dramaturge, qui essaie de monter une tragédie de la vengeance, pleine de cadavres et de sang. Le soir de la première, il décide de tout changer, ce qui suscite la colère des acteurs, terrifiés à l'idée d'improviser. Il finit par les obliger tous à recréer leurs rôles, et la pièce s'achève non dans un bain de sang, mais dans le rire et la danse. Dans cette pièce, Vauthier réussit presque à échapper à l'univers du fantasme personnel. On trouve ici des éléments authentiquement dramatiques, et l'auteur utilise habilement le procédé de la « pièce dans la pièce ». En entrant dans leurs rôles et en sortant, lui et ses acteurs ne réagissent pas à des pressions d'ordre social, psychologique ou rituel, comme celles qui s'imposent aux noirs de Genet dans Les Nègres. Ils ne fonctionnent qu'à titre de membres d'un monde fictif, où le pouvoir appartient à l'auteur-metteur en scène. Le décor en soi, il n'est guère fascinant, et ses références au monde réel sont des plus vagues.

Jacques Audiberti

Jacques Audiberti, comme Vauthier, fut « découvert » par Maréchal au début des années 60, après avoir été joué dans les petits théâtres d'essai parisiens au cours des années 40 et 50. En montant les pièces de ces auteurs, Maréchal essayait d'établir des contacts entre théâtres parisiens et théâtres décentralisés. Il admirait Audiberti plus encore que Vauthier, pour sa force poétique et imaginative.

Le Cavalier seul parcourt le monde méditerranéen, de l France à Byzance et Jérusalem, et se laisse aller à une méditation poétique sur le combat entre les forces du bien et du mal. C'est l'histoire d'un jeune paysan français qui part en croisade, découvre toute la fascination de l'Orient, et s'arrête à Jérusalem, où le Christ lui apparaît et le supplie d'empêcher l'arrivée des armées des croisés. Il n'en fait rien, participe au pillage de Jérusalem, et alors seulement comprend qu'il a crucifié le Christ à nouveau. La pièce est très statique. Elle demande à la représentation un débit oratoire très élaboré plutôt qu'un grand nombre de mouvements.

La première pièce d'Audiberti, Quoat-Quoat, avait connu un grand succès lorsqu'André Reybaz l'avait donnée à la Gaîté Montparnasse en 1946. L'année suivante, Georges Vitaly, obtint un succès plus grand encore avec Le Mal Court au Théâtre de Poche. Au cours des vingt années suivantes et jusqu'à la mort de l'auteur en 1965, plus d'une douzaine de pièces nouvelles d'Audiberti furent portées à la scène, la plupart par Vitaly. Leurs feux d'artifice verbaux et leur force poétique les rendaient plus facilement acceptables aux critiques et aux spectateurs nourris du théâtre d'avant-garde de Cocteau et des surréalistes. Ce théâtre utilisait certains procédés surréalistes pour révéler les forces ténébreuses de l'inconscient tapies sous la banalité de l'existence quotidienne.

Audiberti n'a jamais revendiqué une originalité dramatique quelconque, « mon théâtre n'a rien de nouveau... Je n'ai jamais traité au'un seul sujet, le conflit entre le bien et le mal, entre l'âme et la chair ». Le Mal Court illustre fort bien cette déclaration. L'héroïne Alarica, est au départ innocente et pure; mais elle est humiliée et trahie, apprend le mal, et commence un règne où fleurissent le vice et la tyrannie. Presque tous les personnages portent des noms fonctionnels: le Roi Parfait, le Cardinal, Le Maréchal, et n'ont aucune profondeur psychologique. Ils parlent en termes abstraits. Ni doutes ni questions ne viennent jamais troubler leur monde chimérique. C'est dans La poupée qu'Audiberti s'est le plus approché au monde réel.

Fernando Arrabal

La vie et l'œuvre de Fernando Arrabal portent la trace des traumatismes que l'auteur a subis en Espagne durant son enfance. Il naquit en 1932; son père fut arrêté et condamné à mort par Franco. Sa peine fut commuée en 3 ans de détention. Mais sa femme, catholique pieuse et rigide, se conduisit comme s'il avait connu une mort infamante. Elle fit disparaître son visage de toutes les photos de familles, et s'assura que le jeune Arrabal ne pusse jamais entrer en contact avec lui. Il découvrit des lettres de son père, qui le convainquirent de la trahison de sa mère. Il quitta son foyer et arriva à Paris en 1955, atteint de tuberculose.

C'est durant sa maladie et sa longue convalescence qu'Arrabal écrivit ses premières pièces, en espagnol, pour se libérer de sa peur. Ces pièces furent ensuite traduites en français par sa femme. Leur langage en est simple. Ce qui fait leur intérêt ce sont les étranges images sado-masochistes de souffrance et de désir. Dans Fando et Lis nous avons un jeune couple qui accomplit un voyage incompréhensible vers un lieu nommé Tar. Lis est enchaînée à une charrette. Fando tantôt la caresse et tantôt la torture. Il finit par la tuer. Les personnages des pièces d'Arrabal ressemblent tous à Fando et Lis: ils sont capables de faire preuve d'une naïveté d'enfant, comme d'une extrême cruauté, et ils incarnent les pulsions freudiennes fondamentales, dépouillées de toutes les contraintes de la vie quotidienne.

Les premières pièces d'Arrabal furent publiées en 1958; son Pique-nique en campagne fut monté par Serrau en 1959. Mais il fallut attendre les années 60 pour qu'il devienne célèbre, grâce aux mises en scène spectaculaires de Victor Garcia, Jorge Lavelli et Jérôme Savary, grâce aussi à l'heureuse coïncidence entre ses idées de libération sexuelle et la nouvelle atmosphère laxiste des «folles » années 60.

La réputation d'Arrabal, dramaturge, repose nécessairement sur des œuvres comme L'Architecte et l `empereur d'Assyrie, où deux hommes abandonnés sur une île déserte se livrent à toute une série de jeux sado-masochistes, alternant les rôles, s'imitant l'un l'autre, jusqu'à ce que finalement, l'un dévore l'autre. Aux frontières de cette pièce plane le thème moderniste bien connu de la désintégration su sujet en des discours variables à l'infini. Ce thème, nous le retrouverons exploré avec plus de rigueur dans l'œuvre d'autres dramaturges des années 70.

Proche du psychodrame et du happening (« ce qui advient »), le théâtre baroque et provocateur d'Arrabal s'efforce d'inventer au présent des moments de confusion au cours desquels les tabous sexuels, religieux et politiques sont transgressés.

Finalement, les pièces de Vauthier, Audiberti et Arrabal sont toutes encloses dans le monde des fantasmes personnels. On peut prendre plaisir à les lire, mais la dimension proprement théâtrale ne leur est pas essentielle. Le succès qu'elles ont pu connaître au théâtre est dû à des metteurs en scène de talent.

  • La création collective

L'aventure du théâtre du Soleil est la plus importante aventure théâtrale française depuis Jean Vilar et son T.N.P.

(Bablet, 1979, p.88)

Ainsi s'expriment Denis et Marie-Louise Bablet. L'histoire de la compagnie, de 1964 à 1977, on la trouve dans leur Diapolivre, qui comprend un livre, un jeu de 84 diapositives, des analyses descriptives et un enregistrement sonore d'une partie de la création la plus célèbre de la compagnie. On a tiré un film de cette pièce, ainsi que de Méphisto; et la compagnie a aussi réalisé un téléfilm, Molière, ou la vie d'un honnête homme. Disposer d'une telle quantité de documentation visuelle facilite énormément l'étude des entreprises théâtrales. Cette troupe a maintes fois tout remis en questions: le statut du texte, le rôle des divers membres de la compagnie, la forme de l'aire de jeu, et la relation acteur/spectateur. Elle a connu un succès, malgré son attitude résolument expérimentale, et son établissement dans une banlieue lointaine et peu chic de la capitale.

Ariane Mnouchkine c'est un chef de troupe comme on en fait guère, puisqu'elle déclare vouloir diminuer son pouvoir et arriver à un système de création collective de responsabilité partagée. Son rôle était d'explorer et de créer, en compagnie des acteurs, des décorateurs « N'oubliez pas (...) que notre objectif est de créer une forme de théâtre où tout le monde aura la possibilité de collaborer, sans qu'il y ait des directeurs, des techniciens... selon l'acception traditionnelle ». Cette attitude assez utopique, alliée à un sens très vif de l'histoire et de son influence sur le présent, constitue la caractéristique du Théâtre du Soleil. La compagnie se forma en 1964, préférant aux initiales utilitaires le terme plus symbolique de soleil, qu'ils choisirent en hommage à certains cinéastes de la lumière.

Certains membres de la troupe se connaissaient depuis 1959, date à laquelle ils avaient forme l'Association Théâtrale des Etudiants de Paris. Au début des années 60, Mnouchkine participa à des filmes et voyagea en Extrême Orient, où elle découvrit personnellement le pouvoir expressif et la stylisation extrême du théâtre asiatique.

Le premier répertoire de la troupe témoignait d'un goût pour les dramaturges de gauche et pour la reprise de classiques. Comme de nombreuses autres troupes, celle-ci s'était constituée en Société Coopérative Ouvrière de Production. Ils prirent le terme coopérative plus sérieusement que d'autres. Toutes les décisions importantes devaient être prises à la majorité des voix. Mais ce n'est qu'après 68 qu'ils décidirènt que chaque membre de la troupe toucherait le même salaire, et qu'ils se mirent à monter un pièce de leur invention, selon la méthode de création collective.

Ils jouaient un théâtre de la fête, de la bonne humeur, plein de gags et de lazzi. Aux Petits Bourgeois succéda le tonitruant Capitaine Fracasse. Les deux pièces furent jouées à la Maison des Jeunes et de la Culture de Montreuil, puis dans d'autres salles aux alentours de Paris. Mais aucune des deux ne connut un franc succès. C'est en 1967 qu'ils rencontrèrent leur premier grand succès avec La Cuisine. Ils louèrent à Montmartre le Cirque Médrano. Le fait d'aller au cirque pour voir une pièce, peut expliquer une partie du succès chez un certain public parisien, avide de nouveauté. Les spectateurs découvrirent une jeune compagnie, pleine d'allant, dont le style de jeu semblait convenir à l'atmosphère de la piste: c'était un style très physique, exubérant, qui devait ses effets à l'orchestration de mouvements qui parfois tenaient presque de l'acrobatie. Le succès de cette pièce leur valut trois prix. Mais tout le monde ne fut pas conquis. Le comité d'Aide aux Jeunes Compagnies rejeta leur demande de subvention, et dans les circles de gauche, on émit certaines critiques. Pendant la vague de protestation étudiantes et d'occupations d'usines, la compagnie alla jouer la pièce dans les usines, et découvrit que le public ouvrier saisissait immédiatement ce que les acteurs essayaient de montrer, une pièce générale sur le travail en usine. Parallèlement aux représentations de La Cuisine devant les ouvriers, la compagnie jouait aussi, au Cirque Médrano, Le Songe d'une nuit d'été.

Le Théâtre du Soleil se rendit compte que les évènements de 1968 indiquaient de nouvelles directions à suivre. D'une part ils décidèrent en toute logique d'adopter l'égalité absolue des salaires et de ne plus employer d'acteurs étrangers. D'autre part, ils voulaient répondre aux problèmes soulevés dans la fièvre des évènements de 1968 concernant le rôle politique de l'artiste en général, et de l'auteur en particulier.

Ils sentaient qu'ils voulaient utiliser tous les moyens d'expression. Il était absolument vital pour eux de découvrir un langage vraiment théâtral. Collectivement, ils avaient éprouvé toute la force de l'influence de Brecht, et ils étaient persuadés que la recherche d'un nouveau langage théâtral les conduirait inévitablement à trouver un idiome qui permettrait d'aborder l'évolution politique aussi bien que le drame de l'individu.

Les Clowns fut le premier résultat de cette nouvelle approche. La Cuisine et Le songe d'une nuit d'été ouvrirent la voie à un théâtre dépendant du mouvement, du snob, de la voix, et de tout un environnement. Les Clowns leur permit d'aller plus loin dans cette direction puisque le ressort de cette pièce était des personnages, ou plutôt des masques. Chacun s'attaqua à une série de sketches autobiographiques qui expliqueraient pourquoi il était devenu clown et pourquoi il avait choisi ce costume de clown et ce masque plutôt qu'un autre. C'est une suite de ces improvisations en costumes, avec musique, chansons et gags, qu'ils présentèrent au public.

L'année suivante, Ariane Mnouchkine devait expliquer qu'elle avait trouvé dans Les Clowns un défaut majeur, le manque de travail collectif véritable, et une qualité, donner la possibilité aux acteurs de trouver leur propre langage. C'est à cela que les trois grandes pièces improvisées qui suivirent (1789, 1793 et L'Age d'Or) doivent leur existence.

C'est á l'automne de 1970 que le Théâtre du Soleil joua 1789 pour la première fois. La pièce connut un succès considérable. Les dernières représentations furent filmées. La pièce proposait aux amateurs de théâtre une nouvelle forme dramatique, la création collective. D'autres compagnies imitèrent avec zèle les méthodes du Théâtre du Soleil. La forme de 1789 n'avait pas d'équivalent sur la scène française à l'époque. Elle est due surtout à l'organisation interne de la compagnie, à ses méthodes de travail originales, et au développement de sa prise de conscience politique. Il avait plusieurs raisons pour traiter le thème de la Révolution française. Ils voulaient une histoire simple, connue de tous. Ce choix répondait aussi au désir de la compagnie de parler, dans ses pièces, du monde moderne. L'analyse politique contenue laisse entendre que la Révolution a eu pour conséquence de remplacer l'aristocratie des nobles par celle des riches. La compagnie proposait une explication du monde moderne.

La compagnie avait un problème, elle ne pouvait arriver à son but en jouant des pièces toutes faites, il lui fallait donc faire les siennes. Les acteurs se répartissaient en groupes et cherchaient diverses façons de présenter les évènements de la période 1789-1791. La pièce se composa finalement de dix-huit scènes improvisées.

Le succès phénoménal de 1789 posa au Théâtre du Soleil la question la plus difficile à résoudre pou toute compagnie théâtrale: et maintenant, que faire? Dans un premier temps l'on revint aux exercices sur les clowns et la Commedia dell'arte. On essaya des improvisations où l'on voyait les grandes puissances en train de se partager la Pologne aux cartes, dans le style parodique de 1789. Mais ces expériences leur parurent infructueuses. Ils continuèrent à travailler, et il leur sembla que la clé du progrès, c'était la méthode utilisée pour la scène de la Bastille dans 1789, cette scène où chaque acteur avait raconté l'histoire à un petit groupe de spectateurs, comme s'il avait été témoin de l'événement.

Encouragés par Ariane Mnouchkine, les acteurs s'entraînèrent à raconter une histoire ou à faire le compte-rendu d'un événement. Chaque membre de la compagnie orienta ses recherches sur un aspect particulier des années 1792 et 1793. La pièce intitulée 1793 montrait le petit peuple de Paris en train d'acquérir un vocabulaire et un langage politique. Restait à résoudre le problème d'un espace scénique approprié. La période historique considérée, et le désir de la présenter à travers la vie des gens du peuple, leur firent trouver la solution: situer la pièce dans l'une des salles de réunion des sections de sans-culottes. La pièce ne cherchait pas à susciter chez les spectateurs une réaction enthousiaste, mais plutôt à faire l'appel à leurs facultés critiques, à susciter des émotions plus réfléchies.

Les éléments du décor étaient extrêmement simples: trois énormes tables de bois avec des chevilles de bois. On les utilisait pour le repas, les réunions et les discussions. L'éclairage tenait un rôle particulièrement remarquable. Il pouvait évoquer une quantité incroyable d'atmosphères différentes.

  • rencontra un grand succès auprès du public, mais les critiques furent moins unanimes. Ceux qui avaient escompté un nouveau 1789 furent déçus de ne pas y retrouver une aussi grande variété de ressources stylistiques. Mais d'autres eurent une réaction tout à fait opposée.

En 1973, le Théâtre du Soleil se trouva mondialement connu, mais couvert de dettes. Même si un vaste public s'était pressé pour voir 1789 et 1793, le prix modique des places, et la nécessité absolue d'une longue période de répétition avant chaque nouvelle création, conduisaient à un déficit incessant. Il fallut encore plus de temps pour mettre au point le troisième spectacle collectif, l `Age d'Or. Avec cette pièce ils avaient décidé d'aborder la période actuelle. Les difficultés qu'ils rencontrèrent sont celles de tous les dramaturges: comment définir et exprimer la réalité sociale en question, et comment réaliser la transposition nécessaire afin de pouvoir présenter cette réalité au théâtre. En prenant l'actualité pour thème, il n'était que trop facile de tomber dans la simple reproduction photographique; et ce d'autant plus que nos images de la réalité contemporaine sont si fortement conditionnées par l'œil de la caméra.

Afin de réaliser cette transposition, ils se remirent une fois encore à étudier le travail des clowns, puis passèrent aux masques. Jouer masqué avait l'avantage d'obliger les acteurs à tout exprimer à l'aide de leur corps, en mettant l'accent sur les relations sociales plutôt que sur la psychologie. Ce mode d'interprétation venait s'ajouter au travail précédent réalisé par la compagnie afin de rendre le geste aussi important que la parole. Grâce à leurs méthodes d'improvisation collective, ils créèrent environ 40 personnages.

Pour ce qui est de l'aire de jeu, il leur fallait un espace ouvert facilitant l'instauration de rapports amicaux entre acteurs et spectateurs, et qui recréerait l'atmosphère de fête qui avait marqué leurs spectacles antérieurs.

En ce qui concerne le thème. L'objectif de la compagnie était de choisir une information laconique telle que « un travailleur immigré se tue en tombant d'un échafaudage » puis de tisser la trame de la réalité politique et sociale qui aurait pu servir de support à cet accident.

Les membres de la compagnie visitèrent des usines et des mines, et jouèrent leurs improvisations devant les ouvriers en leur demandant de les critiquer. Cette approche empirique convenait particulièrement à cette pièce, pour laquelle la compagnie avait décidé de tourner le dos au passé et d'ébaucher l'avenir.

De tous les spectacles du Théâtre du Soleil, L'Age d'Or est celui que l'historien du théâtre a le plus de mal à saisir. Il n'en existe pas de version filmée, et bien qu'un texte programme ait été publié chez Stok, le texte est presque inexistant. En revanche, on y trouve des interviews d'acteurs, des comptes-rendus de leurs méthodes de travail, des textes sur les masques, les personnages... La compagnie décida de ne pas faire imprimer le texte parlé parce que cette pièce, plus encore que les précédentes, dépendait de la seule présence en scène des acteurs. Le spectacle tirait sa force de la relation intime établie entre les acteurs et le public.

En 1975, la subvention annuelle de la compagnie passa de cinq cent mille francs à un millon. En juin la compagnie avait payé tous ses dettes, mais n'avait pas de nouvelles pièces en chantier. Les spectacles furent pris en main par des personnes précises.

De nombreuses autres troupes ont essayé de travailler dans un style identique à celui du Théâtre du Soleil. La mieux connue est le Théâtre de l'Aquarium, qui partage la Cartoucherie avec le Théâtre du Soleil et de la Tempête. Elle était une Troupe universitaire au départ. Sa première création collective fut Les Guerre Pichocholines, adaptation d'une partie du Gargantua de Rabelais.

En 1970 la troupe devint professionnelle. Leur premier spectacle fut Les évasions de M. Voisin. Il s'agissait d'une improvisation sur le thème du contraste entre le respectable bourgeois M. Voisin et son double, Zinzin, l'incarnation de tous les désirs refoulés de Voisin. Le esprit fut écrit par Jacques Nichet à partir des improvisations des acteurs.

Marchands de Ville fut un succès, ce que sauva la compagnie du désastre financier. Cette pièce a pour thème la corruption qui règne en ce qui concerne la politique du logement et ses applications. Elle se composait de quatre parties, correspondant au schéma traditionnel selon lequel on repère un quartier en très mauvais état, on l'achète, on expulse les locataires, et on le reconstruit.

En 1973, Gob ou le journal d'un homme normal prit pour thème un événement rapporté par toute la presse de l'époque, en opposant les différentes versions, et les différentes méthodes de reportage utilisées. La pièce fut entièrement faite d'improvisation, à partir des différents comptes-rendus des journaux.

En 1975 la compagnie abandonna temporairement la création collective pour jouer Ah Q, l'adaptation d'un roman chinois sur la pauvreté et la révolution. Mais ils y revinrent en 1976 avec une pièce sur l'occupation des usines: La vielle lune tient la jeune toute une nuit dans ses bras, fondée également sur des documents. Pour les quatre spectacles suivants la compagnie garda la même méthode

Il est intéressant de comparer le travail du Théâtre de l'Aquarium à celui du Soleil. Comme celui-ci, l'Aquarium a peu à peu abandonné la création collective intégrale qu'il avait pratiquée au début des années 70. Comme celui-ci, il a cherché à adapter son discours dramatique à la vie politique contemporaine. Un autre groupe, semblable par ses origines et, au début, par ses objectifs, aux théâtres de l'Aquarium et du Soleil, a fait, lui aussi, l'expérience des méthodes collectives pour porter à la scène les institutions contemporaines: il s'agit du Théâtre Populaire de Lorraine

  • Auteurs dramatiques des années 70

Au cours des années 70, la dramaturgie française a connu de grands changements. Dans l'enthousiasme de la création collective, les premières années de la décennie virent quasiment disparaître le rôle traditionnel de l'auteur dramatique. Au lieu de partir d'un texte, les compagnies théâtrales partaient d'une idée, d'un thème ou d'une situation. Les acteurs réclamèrent la liberté de faire entendre leur propre voix. Dire un texte écrit par quelqu'un d'autre, surtout si ce quelqu'un était un écrivain professionnel, c'était accepter une pratique contraignante et tyrannique: tous les textes dramatiques devaient être l'expression d'une voix collective. Même lorsque ces simplifications sommaires étaient évitées, le sort de l'auteur n'était pas nécessairement plus enviable, car il se heurtait au « théâtre des metteurs en scène ». Le pouvoir du directeur-metteur en scène se trouva encore renforcé lorsque le gouvernement adopta une nouvelle méthode de subvention. L'Aide à la première pièce accordait une rallonge budgétaire lorsqu'on montait une pièce nouvelle. Avec le nouveau système, le directeur n'avait plus besoin de trouver une pièce nouvelle; une création collective, une adaptation lui conféraient les mêmes droits.

Les jeunes dramaturges des années 40 et 50 avaient été joués dans les théâtres privés parisiens d'art et d'essai. Au cours des années 60, les théâtres officiels s'étaient substitués à eux pour présenter les pièces nouvelles. Mais lorsque la récession des années 70 commença à se faire sentir, les théâtres parisiens ne purent plus prendre des risques et les théâtres officiels connurent aussi des difficultés financières.

C'est alors qu'il devint de bon ton de déclarer que le temps de l'auteur dramatique était passé. Ces idées trouvèrent un écho dans la théorie littéraire structuraliste et post-structuraliste qui proclamait la mort de l'auteur. On devait considérer les œuvres comme des fragments de discours auxquels chaque lecteur conférait un sens tout autant que l'auteur que les avait conçus.

De plus, l'ancienne notion de sens fut elle-même remise en cause, et l'on suggéra qu'il était vain de vouloir chercher un sens permanent dans un texte littéraire. Comme les intentions de l'auteur et son autorité perdaient leur importance, les directeurs eurent assez souvent recours à des collages de textes de genres et d'époques différents.

La crise que connurent les dramaturges au début des années 70 avait aussi des causes économiques évidentes. Les grands théâtres décentralisés coûtaient très cher. Il y en avait beaucoup, et tous se disputaient les subventions. La seule solution fut souvent, de renoncer au travail de création, et d'ouvrir le théâtre aux tournées.

En dépit d'un climat financier hostile, les années 70 virent augmenter régulièrement, en province, le nombre des jeunes compagnies théâtrales. Par ailleurs, bon nombre de grands théâtres continuèrent à jouer des œuvres nouvelles.

En 1975, Jean-Pierre Vincent fut nommé à la tête du Théâtre de Strasbourg. Il s'était taillé une réputation en montrant Brecht, Büchner, ainsi que des pièces françaises contemporaines. Vincent mit en œuvre une méthode de travail inspirée de celle des théâtres municipaux allemands. Il instaura une étroite collaboration entre l'école de théâtre de Strasbourg et la compagnie d'acteurs professionnels, et engagea deux dramaturges: Bernard Chartreux et Michel Deutsch.

La principale victime des changements et des restrictions des années 70 fut une tradition essentiellement parisienne: celle de la pièce lyrico-fantaisiste qui avait figuré dans toutes les saisons théâtrales depuis la guerre. Il s'agit d'auteurs qui n'avaient opté ni pour le camp brechtien ni pour celui du théâtre de l'absurde. Au même moment apparurent de nouveaux auteurs de seconde importance, écrivant dans la même veine, notamment Romain Weingarten et René Obaldia.

Jean-Claude Grumberg

Cette écriture de type fantaisiste a presque entièrement disparu depuis 1970. Jean-Claude Grumberg a réussi à combiner les leçons du nouveau théâtre et les découvertes du théâtres populaire et du théâtre épique. Grumberg naquit à Paris dans une famille d'immigrants juifs. Son père fut déporté et il ne revint jamais. Sa mère se fit couturière pour faire vivre ses enfants. Grumberg ne commença à écrire pour la scène qu'au milieu des années 60. Ses premières pièces traitent du racisme et de l'intolérance.

Amorphe d'Ottenburg procura à Grumberg son premier succès commercial. La pièce est une parabole du nazisme. Dans toute la pièce le langage est porteur de grotesque. Vue sous l'angle de la comédie noire, la pièce est une réussite; en tant qu'allégorie politique, on ne peut pas en dire autant. Le spectateur n'a pas le plaisir de découvrir des choses nouvelles sur le nazisme.

Dans les pièces suivantes nous voyons Grumberg se tourner davantage ver des évènements et des situations réelles, et puiser davantage dans son expérience personnelle. L'on constate une attitude critique plus marquée en ce qui concerne la forme. Ceci apparaît très clairement dans Dreyfus où le problème sur l'antisémitisme est le souci majeur d'une troupe de juifs polonais, eux-mêmes victimes de l'antisémitisme. Le contenu de cette pièce est plus spécifiquement politique.

En r'venant d'l'Expo nous invite à considérer la fonction des cafés concerts au cours delà période qui précède la première guerre mondiale. La pièce est extrêmement bien construite et le début qui a pour cadre l'Exposition Universelle de 1900 offre des scènes d'exposition dramatique de tout premier ordre. Comme pièce documentaire sur la belle époque elle est remarquable, mais comme pièce politique elle se concentre trop souvent d'enfoncer des portes ouvertes.

Ce qui plaît dans la pièce, c'est davantage sa construction apparente et sa cohérence d'ensemble. Les premières scènes de la pièce ont pour cadre l'Exposition Universelle, dans le reste de la pièce on passe alternativement du café concert à la salle de réunion des ouvriers. Au café concert, on se plait à chanter des chansons patriotiques pour réveiller la ferveur militariste; tandis que dans la salle de réunion, les syndiqués discutent de politique pacifiste.

La pièce souvent de Grumberg, L'atelier, fut donnée pour la première fois à l'Odéon en 1979. L'auteur puise largement dans sa propre expérience pour dire l'histoire des juifs qui ont survécu à l'occupation nazie, et qui souffrent d'être encore vivants alors que tant des leurs sont morts.

Après avoir flirté avec les méthodes du théâtre de l'absurde et du théâtre épique, Grumberg revint, avec cette pièce à un naturalisme plus traditionnel. Comme ce style est pratiqué depuis plus d'un siècle, le public exige une histoire à forte tension émotionnelle avant de se laisser convaincre. L'évocation de l'holocauste fournit ici cette tension.

Eduardo Manet

Eduardo Manet avait une très solide connaissance de la pratique théâtrale lorsque, en 1967, il écrivit Les nonnes, sa première pièce. Il avait quitté Cuba pour faire son apprentissage sous la direction de Barrault et Lecocq. En 1960 il regagne son pays pour prendre part à l'action de Fidel Castro. On lui confia la responsabilité du Théâtre National De Cuba. Au bout de huit ans, il commença à voir d'un autre œil le régime castriste. Il revint en France où les nonnes connut un succès commercial considérable. Au cours des années 70, il continua à écrire, et parfois à monter lui même ses pièces: il en créa huit, la plupart dans des petits théâtres d'essai.

Les nonnes est une pièce originale. L'action se situe à Haïti, lorsque leur lieu la révolte des esclaves. Elle met en scène trois religieuses enfermées dans une cave. Elles ont persuadé une riche señora de se joindre à elles, en lui promettant de la faire échapper des mains des rebelles. Mais c'est pour la tuer et s'empereur de ses bijoux. L'intérêt dramatique de ce qui aurait pu être un simple fait divers vient de ce que les trois religieuses sont des hommes. Elles parlent comme des hommes, se conduisent en hommes, boivent, fument et se battent comme des hommes. Mais en même temps, il leur arrive de penser en nonnes conditionnées par la vie conventuelle. On n'explique pas aux spectateurs pourquoi les religieuses sont des hommes: ce ne sont pas des hommes déguisées en nonnes, ce ne sont pas des nonnes en train de changer de sexe. Elles sont à la fois nonnes et hommes.

Manet entreprit une démystification bien plus précise de l'idéologie catholique dans Holocaustum ou le borgne. La pièce se passe aux premier temps de la christianisation de l'Empire Romain. L'argument de la pièce est simpliste, mais il offre de grandes possibilités au metteur en scène et aux acteurs, puisque l'on passe sans cesse de l'assouvissement des appétits à l'abnégation. Le talent qu'a Manet de trouver l'image théâtrale frappante se révéla dans les pièces suivantes et plus particulièrement dans le groupe d'expériences libres. Son chef-d'œuvre fut Un balcon sur les Andes, qui demande une distribution nombreuse, des chants et des danses. La pièce suit la fortune de quelques acteurs français arrêtés en 1848 pour avoir donné en plein air un spectacle antimonarchique qui fuient en Amérique du Sud où ils se font comédiens ambulants pour essayer de gagner leur vie.

Georges Michel

Georges Michel est lui aussi un auteur dramatique dont les premières œuvres traduisent la réalité à travers des méthodes du théâtre de l'absurde. Michel est un horloger parisien. Certaines de ses pièces annoncent le théâtre du quotidien. Dans ses pièces, Michel utilise les méthodes dramaturgiques de littéralisation, qui réussissent si bien aux dramaturges du Nouveau Théâtre, en présentant des images concrètes et grotesques des peurs et des fantasmes issus du conformisme social.

Dans la plupart des pièces de Michel, les personnages sont comme des automates programmés. Seuls les enfants font exception. Ce sont des créatures douées d'une certaine indépendance naïve, encore capables de mettre en question les clichés qui servent aux adultes de réponses à toutes les situations auxquelles ils sont confrontés.

Le théâtre du quotidien: Deutsch, Wenzel.

Dans les pièces de Michel Deutsch, Jean Paul Wenzel ou de Jacques Lasalle, ce que l'on a appelé le théâtre du quotidien, la langue parlée par les personnages, des ouvriers, des employés, renvoie toujours à un « mal à dire », à une impuissance à exprimer la souffrance sociale. Derrière la banalité de ces situations, émergeait avec force la violence cachée des structures sociales contemporaines.

Les pièces de Michel Deutsch mettent en scène des personnages qui sont construits à partir d'un discours qui leur est étranger. Chez Deutsch, les personnages sont le résultat d'un collage réalisé à partir des attitudes différentes des nombreuses personnes qu'ils ont rencontrées au cours de leur existence. La plupart des personnages de Deustch appartiennent aux échelons les plus bas de la société. Au départ, il avait cru nécessaire d'enregistrer et d'imiter leur discours. Dans La Bonne Vie, Jules parle une langue faite de clichés banals et de stéréotypes empruntés à des dialogues de films. Au dénouement, le personnage finit par déraper de la réalité dans un délire schizophrénique : il tue son épouse enceinte avant de se suicider comme s'il participait à la dernière scène d'un film.

Jean-Paul Wenzel a fondé une compagnie « Le Théâtre du Quotidien ». Il a aussi composé un certain nombre de pièces, la plus connue Loin d'Hagondange. On y voit un couple d'ouvriers arrivés à la fin de leur vie. Après toute une existence de travail ils se sont retirés à la campagne. Le couple a accepté le modèle du bonheur conjugal qui correspond aux besoins de la société de consommation. Privés des clichés habituels que leur fournissait le travail routinier du mari, ils n'ont plus rien à se dire. Le succès ne se fit pas attendre, surtout après la mise en scène de Chéreau. Chéreau exploita à plein l'usage du silence. Le vide de l'existence de ces deux vieilles personnes, leurs désirs réprimés, étaient communiqués tout autant par les silences entre les mots que par les mots eux-mêmes.

Les auteurs du théâtre du quotidien courent toujours le risque de rabaisser leurs personnages, de souligner leur aliénation, leur caractère de victime, au point de les traiter avec mépris. Tous ces auteurs essaient de s'affronter à la réalité fragmentée d'une vie quotidienne à laquelle on ne peut plus trouver de sens, et où les motivations personnelles des individus semblent échapper à tout contrôle. Ils voient leurs pièces comme des pièces politiques, qui provoquent une prise de conscience chez les spectateurs.

BIBLIOGRAPHIE

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  • XAVIER DARCOS, Histoire de la littérature française. Hachette

DAVID BRADBY, Le théâtre français contemporain 1940-1980. PUL 1990.

DOMINIQUE RINCÉ, Histoire de la littérature française. Nathan. 1988

XAVIER DARCOS, Histoire de la littérature française. Hachette

DAVID BRADBY, op.cit.

FRANCK EVRARD, Le théâtre français du XXº siècle, Ellipses, 1995.

DAVID BRADBY, op.cit.

FRANCK EVRARD, op.cit.

LOUIS MONTILLET « Il y a cinquante ans, Avignon », Revue d'histoire du théâtre, 1998, nº4 (p.295)

DAVID BRADBY, op.cit.

DOMINIQUE RINCÉ, op.cit

FRANCK EVRARD, op.cit.

6-7 ANNE DHOQUOIS « La réception théâtrale de Bertolt Brecht en France ». Revue d'histoire du théâtre, 1995, nº1 (p.40, 42)

DAVID BRADBY, op. cit.

FRANCK EVRARD, op. cit.

DAVID BRADBY, op.cit.

DAVID BRADBY, op.cit.

DOMINIQUE RINCÉ, op.cit.

FRANCK EVRARD, op.cit

DAVID BRADBY, op.cit.

DOMINIQUE RINCÉ, op.cit.

M.F CHRISTOUT « Le langage du corps », Revue d'histoire du théâtre, 1996, nª1-2 (p.183)

DAVID BRADBY, op. cit.

DAVID BRADBY, op. cit.

FRANCK EVRARD, op. cit.

DAVID BRADBY, op. cit.

DAVID BRADBY, op. cit.

DAVID BRADBY, op. cit.

DOMINIQUE RINCÉ, op. cit.

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Idioma: francés
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